ART | CRITIQUE

Curiosité artificielle

Dotés de comportements inspirés du vivant, les robots animaux de France Cadet oscillent, sous des dehors ludiques et humoristiques, entre l’artificialisation de la vie et leur propre humanisation. L’artificiel remplace le naturel : une interrogation sur la profonde mutation de notre rapport à la nature.

Hunting Trophies (trophées de chasse) associe onze robots animaux réalisés à partir des robots chiens I–Cybie de Silverlit, transformés par l’artiste, à la manière des taxidermistes, en bustes d’animaux sauvages divers (lion, panthère, cerf ou rhinocéros).

Oreilles retaillées, ajout d’éléments caractéristiques (fausse crinière ou cornes en résine), peinture idoine, les bustes sont tous fixés comme il se doit au mur sur un socle en bois vernis. A ceci près qu’il ne s’agit pas d’animaux empaillés mais de robots, reprogrammés par France Cadet et dotés de comportements inspirés de leurs modèles vivants. Figés et yeux fermés en l’absence de visiteurs, ils grognent, allument leur regard et marquent crescendo leur agressivité lorsqu’ils détectent une présence. Un jeu s’instaure alors avec eux, le spectateur se déplaçant à volonté devant la galerie qu’ils forment.

Si l’œuvre est clairement ludique, elle n’en interroge pas moins la profonde mutation de notre rapport à la nature, en substituant à des animaux sauvages empaillés des robots aux formes animales, dotés de capacités d’interactions.

L’artificiel remplace le naturel, tout en le copiant. L’autre, représenté par la part animale, est en voie de disparition, mais, peut-être par nécessité anthropologique, l’homme instille du relationnel dans ses rapports à la technique, allant jusqu’à mimer le vivant. Nostalgie d’un monde perdu ou chimère de l’effacement de la mort ?

L’installation de France Cadet désamorce en effet complètement la coloration lugubre inhérente aux trophées de chasse, par le choix de jouets électroniques comme matériau de départ et leur travestissement humoristique en autant de représentants dérisoires de la faune sauvage.
La mise en scène de la mort dans les trophées de chasse traditionnels, où se loge toujours quelque vanité, est remplacée par une intervention sur une technologie déjà existante : exit le vivant — le vivant sauvage — mais aussi exit la mort. Aux animaux succèdent des robots animaux, compagnons de jeu possibles, potentiellement indestructibles.

Les autres installations manifestent de façon plus troublante l’interpénétration déjà effective entre le vivant et la technique, en simulant des émotions dans les comportements des robots animaux présentés ou dans des sérigraphies de robots chiens qui incorporent des gènes d’autres espèces.

Dans l’oeuvre Do Robotic Cats Dream of Electric Fish ?, un chat robot fixe un écran de télévision où nage le petit poisson Nemo du célèbre dessin animé. Il réagit à la présence du poisson, comme un vrai chat le ferait devant un aquarium. Quant au robot chien à bascule de Gaude Mihi, il se balance lui-même à l’approche d’un visiteur, pour son propre plaisir semble-t-il, détournant à son profit sa fonction de jouet.
Une série de sérigraphies, tirée des chiens robots de Dog [LAB]01 fortement inspirés par les recherches biotechnologiques actuelles, présentent, entre humour et inquiétante étrangeté, des mutants à la croisée de plusieurs espèces. Mais les croisements génétiques s’effectuent directement sur les robots, comme s’ils constituaient de nouvelles espèces se substituant aux autres.

Le titre de l’exposition, Curiosité artificielle, renvoie aux cabinets de curiosités nés à la Renaissance, où étrangetés naturelles et artificielles se côtoyaient, suggérant que la nature n’a plus sa place aujourd’hui. Il évoque aussi l’introduction, dans le domaine de l’intelligence artificielle, de la simulation d’émotions, pour accélérer l’apprentissage des robots. La technologie prenant le pas sur la nature jusqu’à sa possible disparition, l’homme tente de la recréer par modélisation. Se retrouvant seul, s’agit-il d’une tentative d’humanisation de son environnement, propre à son espèce et nécessaire à sa survie ou d’une transmutation schizophrénique délétère ?

Visitez le site de France Cadet

France Cadet
— Gaude Mihi, 2008.
— GFP Puppy, 2006. Sérigraphie.
— Robotic dog acupuncture chart, 2008. Dessin.
— Hunting Trophies, 2008.

AUTRES EVENEMENTS ART