« Si la culture ne devient pas l’un des fers de lance des programmes de nos partis de gauche, nous aurons perdu quoi qu’il advienne. Nous aurons cédé devant la machine ultralibérale qui vise à réduire les humains à d’efficaces machines à produire et à consommer.
Il s’agit de défendre, dans la filiation de l’éducation populaire, la mise en circulation démocratique — et l’usage — des outils et des œuvres de l’esprit. Ces outils et ces œuvres sont les premiers matériaux de la construction d’un humain pensant, rêvant, imaginant. Non d’une machine à l’apparence humaine. Ce combat est aussi fondamental que celui de l’écologie. Nous revendiquons la culture de tous par tous. Aux marchands de sons et d’images comme aux tenants de «l’élitaire pour quelques-uns», nous opposons un partage du sensible irréductible au seul partage de fichiers.
Internet peut être un puissant vecteur de découverte et de savoir et l’abrogation de la loi Hadopi est un préalable indispensable. Mais insuffisant. Là où d’aucuns parlent d’accès à la culture, nous parlons d’appropriation, de pratique, d’échange. Un usage qui ne saurait se réduire à la consommation illimitée de musique et d’images sur le Web! Les néoconservateurs ne s’y trompent pas, qui utilisent les industries culturelles comme rouleaux compresseur des imaginaires.
Comment favoriser la circulation du sensible et du symbolique? En prenant soin, partout, des jeunes pousses, en acceptant la mauvaise herbe, en refusant l’excellence surannée qui paralyse, comme la démagogie consumériste qui transforme l’art en produit. Il ne s’agit pas seulement, suivant la formule de Malraux, de «rendre accessibles les plus grandes œuvres au plus grand nombre», mais de reconnaître en chacun l’auteur potentiel. Ce n’est pas — seulement — une question de moyens, mais de partage des richesses, d’abolition des privilèges. Et de volonté politique. Nous revendiquons l’art et la culture comme outils d’intelligibilité du monde et d’invention du futur, armes de l’imaginaire face à la tyrannie d’une réalité qui ne souffrirait aucune alternative. Dans ce combat pour un autre monde, les outils du rêve, de l’affect, sont aussi nécessaires que ceux de la raison et du militantisme politique. L’habitat, les rapports sociaux, l’éducation, le travail, l’aménagement du territoire, les bouleversements technologiques, sont des questions culturelles.
Cette ambition ne saurait être l’apanage d’un seul ministère. Forcément transversale, elle devra s’appuyer sur l’effervescence des expériences, observer sans contrôler, soutenir sans stériliser par des labels. Prenons la culture et l’art pour ce qu’ils sont, des biens publics de très haute nécessité portant l’exigence d’un service public refondé.
Alors, culture… Peut-être le mot n’est-il plus adapté à ce combat, peut-être renvoie-t-il trop à une longue histoire de monarchies, à des clivages sociaux persistants, à cette distinction dont parlait Pierre Bourdieu. Nous parlerons de préférence de l’univers du symbole, pour le distinguer clairement de celui du chiffre, auquel la machine ultralibérale veut tout soumettre, y compris ce qui est d’évidence incalculable. Pour faire entendre que nous ne nous contenterons pas de la défense d’un patrimoine dont il s’agit de faciliter l’accès aux classes laborieuses. Comme l’a montré le regroupement de l’Appel des appels, qui réunit autour d’un socle de valeurs fondamentales des représentants de corps de métiers aussi divers que la justice, le journalisme, la médecine, la psychiatrie ou l’éducation, c’est là , aujourd’hui, que le combat se joue. Dans une résistance absolue à cette évaluation chiffrée qui a pour but d’éliminer tout ce qui, dans les œuvres humaines, est de l’ordre de l’échange, de l’imaginaire et, comme l’écrivirent Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, de la relation. »
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