Comme souvent à la Fondation Cartier, l’exposition de Rinko Kawauchi, fleuron de la nouvelle génération des photographes japonais, est un accrochage d’œuvres anciennes et d’autres conçues spécialement pour l’occasion.
A l’occasion des dernières rencontres d’Arles, la jeune photographe avait été abondemment publiée dans des livres et des revues, trois séries sont aujourd’hui présentées au sous-sol de la Fondation Cartier.
Il y a d’abord un accrochage classique de grandes photographies carrées. A la fin, sur le dernier mur libre, est présenté un patchwork de clichés de formats différents, un peu à la façon d’Annette Messager — la série s’intitule Aila.
Au centre de la vaste salle se trouve un cube blanc à l’intérieur duquel les tirages de la série The Eye, The Ears sont épinglés tels quels.
Le dernier espace est consacré au diaporama intitulé Cui Cui: durant près de dix minutes, les photos de famille de l’artiste sont projetées avec une bande son qui laisse percevoir le bruit doux de petits oiseaux.
La présentation est parfaite. L’espace est bien utilisé, de façon fluide et ludique. Mais la cohésion provient surtout des travaux de Kawauchi qui savent ménager la surprise et la reconnaissance de la manière de l’artiste.
Quel est son secret ? C’est assez simple, elle montre ce et ceux qu’elle aime. Ses images sont à la fois pauvres et élégantes. Elle joue toujours sur ce contraste, comme à la limite de rater la photo, mais à c’est à l’intérieur de ces limites qu’elle puise la nature et la fraîcheur de son art. Elle n’hésite pas à utiliser le flash de trop près afin d’exploser d’une lumière blanche les objets et les êtres qu’elle photographie.
Elle joue sur tous les éléments, avec la couleur ou la précision des contours. Elle peut aveugler une biche, éclairer au flash un arbre la nuit, ou faire un gros plan sur des œufs d’esturgeon; à chaque fois elle parvient à éblouir le spectateur, à envelopper ses tirages d’une couleur blanchâtre douce, le tout semblant sortir d’un bain de brume, d’un jus ouaté.
Avec précision et élégance, elle choisit un angle de vue, un cadre, une composition emplie d’une netteté vaporeuse. Pour un jeune nourrisson qui bave encore le lait maternel, l’objectif se concentre sur les lèvres et le bout de ce petit nez, le reste de la composition étant plongé dans un flou léger. Les objets et les êtres sont photographiés dans des halos de lumière et des sfumatos estompés.
En outre, Rinko Kawauchi présente des sujets forts puisés dans les sphères familiale, végétale et animale : naissance, fécondité et famille, qui parlent autant d’elle que de nous. La naissance est déclinée de plusieurs façons, en œufs orange de poissons, en poulain dans l’écurie, et en nourrisson lacté.
Cette esthétique parvient à rester très personnelle, même si elle peut évoquer le cinéma de Terence Malick, en particulier La Ligne rouge, ou les publicités pour Kenzo habitées par tout un esprit écologiste.
Rinko Kawauchi construit à partir de son quotidien une œuvre passionnante et véritablement japonaise. Elle se situe, en photographie, dans la lignée de Kuramati en peinture, ou de Miazaki dans le cinéma d’animation.