La guerre, encore la guerre. Parce que, la guerre, on ne s’en débarrasse pas comme ça, aussi vite que l’on croit. A cause des morts dont les images nous taraudent, même si l’on se croit blasé par l’excès et la banalisation médiatiques. A cause de l’exorbitante inégalité des forces qui fait que chacune des bombes qui frappe des civils nous touche, nous aussi, d’une certaine manière, comme par une sorte de partage spontané de la douleur. A cause, également, des effets de révélation de la guerre. Notamment ici, en France.
Hier, tel directeur de site internet, trop préoccupé par le prix de l’art, n’envisageait-il pas d’autres victimes de la guerre en Irak que le… marché de l’art.
Aujourd’hui, la rédaction de la revue Art Press (avril 2003) adopte vis-à -vis de la situation internationale une hallucinante position à la fois unilatérale et… populiste.
Au nom d’une juste dénonciation de l’horreur de la guerre en Tchétchénie et des complaisances européennes et françaises envers le président russe, la rédaction d’Art Press s’en prend «aux belles âmes intellectuelles» qui dénoncent la politique américaine, et elle fustige «nos intellectuels, écrivains, artistes, journalistes, hommes politiques de droite et de gauche […], et les foules qui défilent en criant ‘Paix en Irak’».
Il est toujours fastidieux, mais parfois nécessaire, de rappeler certaines évidences : dénoncer la politique américaine en Irak ne signifie nullement soutenir la dictature de Saddam Hussein, ni tolérer les massacres perpétrés en Tchétchénie, ni, faut-il le préciser, oublier l’odieux conflit israélo-palestinien.
La rédaction d’Art Press tombe dans le panneau de faire exactement ce qu’elle dénonce : choisir un camp contre un autre. De fait, celui de Bush contre celui de Poutine. En écartant la question irakienne. Et en ignorant l’un des faits majeurs de la période récente : le vaste mouvement international de résistance qui s’est exprimé de toutes parts contre la guerre.
Comment, dans ces conditions, aborder avec pertinence l’art qui s’invente aujourd’hui, et qui est de plus en plus sensible aux soubresauts du monde?
D’autant, et c’est plus étonnant encore, qu’Art Press se laisse aller à un populisme anti-intellectuel qui se passe de commentaire.
C’est une aventure intellectuelle et un parcours de trente ans avec l’art contemporain qui trébuchent ici.
André Rouillé
_____________________________
Vanessa Beecroft, VB 51. Schloss Vinsebeck (détail), 2002. Un des sept portraits de la série. Photo couleur Fuji crystal archive. 63,50 x 83,80 cm. Courtesy Cosmic Galerie.