Elisa Fedeli. A quels besoins répond la création de ce nouvel espace pour la galerie Chantal Crousel?
Niklas Svennung. Ce nouvel espace répond à une envie d’étendre et de diversifier les activités de la galerie, qui existe depuis 1980 déjà . Depuis plusieurs années, Chantal et moi réfléchissions à une nouvelle implantation et menions des recherches géographiques assez étendues, dans des villes étrangères comme Berlin, Londres, New York, Sao Paulo, voire même jusqu’en Asie. Nous avons deux personnalités assez complémentaires et l’envie commune de penser différemment les pratiques actuelles des artistes et celles d’une galerie.
Ce nouvel espace va d’abord nous permettre de réagir à la façon dont les artistes produisent aujourd’hui. Une galerie programme ses expositions longtemps à l’avance. Par conséquent, il lui est souvent difficile de réagir vite. Ensuite, ce lieu va nous permettre de montrer ce que l’on fait en dehors des projets visibles rue Charlot et de faciliter la préparation de nos projets hors les murs, comme les biennales et les festivals. Nous souhaitons montrer la partie cachée de la galerie, ce qui se passe en amont des expositions et ce dont la galerie est responsable. Dans un premier temps, une douzaine de mètres de racks, servant à entreposer les œuvres, resteront visibles et ouverts à la déambulation du public. Pour la suite, je réfléchis à un autre type d’approche, peut-être un espace où les œuvres se fabriquent…
Ce nouvel espace est situé au 11F, rue Léon Jouhaux dans le Xe arrondissement. Comment s’est arrêté le choix de ce lieu?
Niklas Svennung. Cet espace s’est présenté à moi de façon «accidentelle» et très spontanée. Au départ, nous n’avions pas l’intention de développer notre activité sur Paris. Des amis m’ont parlé de ce lieu, qui est un ancien bâtiment des douanes. Celui-ci m’a tout de suite plu car il induit l’idée de trafic et de flux. En plus, il y a peu de restrictions par rapport à un espace traditionnel de galerie d’exposition. Cela me permet d’envisager des relations différentes avec le public. Le lieu n’étant pas visible depuis la rue, il agit comme un filtre.
Que va-t-on découvrir dans l’exposition inaugurale?
Niklas Svennung. La première exposition emprunte son titre au film de Jean Renoir: La Règle du jeu. Il y est question de relations, celles qu’on pense être écrites dans le marbre mais qui, en réalité, se défont et se remettent en question. Dans l’exposition, sera abordée la question de la grille, ce système où les règles sont dessinées d’avance et qui implique que les gens se comportent de telle façon les uns envers les autres. La règle du jeu consiste justement à défaire cette grille. Au total, il y aura seize œuvres, ce qui est assez peu dans un espace si vaste. Cela permettra au visiteur de déambuler entre les œuvres, de créer son propre parcours. Le rapport à l’œuvre, et entre les œuvres, sera donc différent.
La peinture de Martin Kippenberger est éloquente par rapport à cette question relationnelle: «nos chemins se séparent au carrefour», énonce-t-elle en allemand. Il y aura aussi de très récentes peintures d’Alain Séchas, qui opère un tournant très fort dans sa carrière. Il abandonne la figuration et son sujet de prédilection, les chats, pour se lancer dans une peinture directe et très sincère.
Dans cette exposition, nous exposons un travail inhabituel de Thomas Hirschhorn, relativement minimal, proche de l’art brut et qui s’éloigne des matériaux et de l’imagerie qu’on lui connaît.
Reena Spaulings, artiste et galeriste à New-York, exposera un rack de cartes postales. Ce sont les œuvres d’une artiste de sa galerie. Elle se les approprie et en fait la promotion avec des cartes «souvenir». L’enjeu réside donc dans les relations qu’entretiennent les œuvres et leurs multiples lectures.
Virginia Overton, qui n’est pas de la galerie, développe un travail sur la lumière. Pour l’exposition, elle propose un travail in situ, qui restera après le temps de l’exposition. Enfin, depuis peu, nous représentons Clément Rodzielski, qui est un lien très subtil entre nos artistes parisiens et new-yorkais.
Quelles approches spécifiques des œuvres vous permet ce type d’espace?
Niklas Svennung. D’abord, il s’agit pour nous de voir comment les œuvres réagissent dans un nouvel espace. C’est en quelque sorte une lumière différente de ce qui se passe Rue Charlot. Très architecturé, le nouvel espace est ponctué de colonnes et de structures géométriques au sol et au plafond. Il fonctionne comme une grille, qu’il est intéressant de défaire en jouant sur les perspectives et sur les relations des œuvres entre elles.
Quel est le nom retenu pour ce nouvel espace d’exposition?
Niklas Svennung. Pour l’instant, on l’appelle officieusement «République», car il est géographiquement très identifié. Mais je veux encore y réfléchir.
Avez-vous déjà une idée des futures manifestations qui y auront lieu?
Niklas Svennung. J’espère donner des impulsions nouvelles aux artistes et leur donner envie de jouer sur la spécificité architecturale de ce lieu et sur la relation qu’il entretient avec la rue. Nous prévoyons des expositions en 2011 avec Thomas Hirchhorn, Danh Vo et Clément Rodzielski. Nous souhaitons aussi inviter la galerie berlinoise Neu à exposer une partie de son programme. Aujourd’hui, une galerie est vite étiquetée, ses expositions vite digérées. Je souhaite, tant que possible, échapper à cela en créant une zone de travail et d’exposition plus souple, qui ne soit pas assimilée trop rapidement.