Au rez-de-chaussée de la galerie, se fait entendre le ruissellement d’une eau prise à l’intérieur d’une sculpture cubique cernée de trois imposantes sérigraphies sur plaques d’inox. Quelque chose dans l’atmosphère produite suggère que ce qui arrive dans cet agencement sonore, visuel et presque tactile, n’a pas lieu maintenant mais longtemps après ou bien longtemps avant, au creux d’un oxymore temporel, comme pour rien ni pour personne encore.
Au centre, le cube de granit Vers la terre (2011) porte un nom éloquent, car malgré l’eau et la cavité parcourues d’enchevêtrements qui forment des strates d’inox et de bronze verdâtres, oscillant entre figuration du végétal et du minéral, de l’inorganique et de la pétrification organique, la terre fait bien défaut: celle que l’on habite et où se tracent les chemins.
Mais celui ou celle qui entre là , témoin insituable de sites indéchiffrables, arrive trop tôt ou trop tard, piégé comme l’eau dans cet univers qui a le charme d’un ailleurs inquiétant, remuant d’enivrantes mélancolies dans le fond des subconscients.
Les trois sérigraphies qui sont des études pour une sculpture destinée au Souk de Beyrouth n’apaisent pas ce subtil déséquilibre sur le rebord de la terre et du temps. Articulant dans leur composition sculpture, dessin et photographie, ces sérigraphies sont comme des esquisses d’un autre type. Dessinant sur des maquettes faites avec des boites en carton qu’elle a ensuite photographiées, Cristina Iglésias a tracé son projet de sculpture à même les photographies avant de les sérigraphier à taille humaine.
Les sérigraphies présentent ainsi des grilles suspendues entre des édifices géométriques qui n’offrent pour point de fuite qu’une surface d’inox où s’écrase toute perspective: «Vierge vers, à ne designer que la coupe» aurait peut-être dit Mallarmé.
À l’étage inférieur, trois nouveaux blocs de granit Les Pozos (2011) varient leur mise en scène des cycles de l’écume et de l’eau dans de semblables concrétions d’inox et de bronze rappelant tantôt la forme d’un nid — comme le faisait déjà Vers la terre —, tantôt le relief d’un paysage plus aplati, palimpseste géologique ou bien squelette fossilisé de quelque vivant inconnu s’allongeant au-delà sur les parois en miroir.
À chaque fois, il faut s’approcher des puits cubiques, les toucher pour regarder ce qui se produit dans leurs antres et attendre patiemment que se produisent les différents cycles de l’eau: qui stagne ou qui s’écoule aux tréfonds des plis, qui monte à la surface ou bien chute en cascade entre les stries, ruisselant doucement ou impétueusement.
La méditation que suscite cette contemplation pourrait rappeler celle qui survient lors de certains plans fixes d’Andréi Tarkovsky si les nervures, les strates et les couleurs ne ressemblant à rien d’humain ou de non humain n’évoquaient de leur côté une sorte de poétique extra terrestre.
Pour finir et avant de remonter à la surface, «vers la terre» une fois encore, le film Guided Tour III projeté dans la crypte du sous-sol entraîne dans les airs et sur la terre, à travers un parcours ponctué par les œuvres de l’artiste réalisées sur différents sites.
Itinérance réelle, égarement subreptice du désir hors des limites de la nomination, passage de frontières inapparentes, Cristina Iglesias fait voir au travers de gestes et de matériaux une langue semi-imaginaire dont manque encore la traduction.
Å’uvres
— Cristina Iglesias, Pozo III (Variation 2), 2011.
— Cristina Iglesias, Vers la terre, 2011.
— Cristina Iglesias, Untitled (Beirut Souk Shadow, III), 2011.
— Cristina Iglesias, Untitled (Beirut Souk Shadow, II), 2011.
— Cristina Iglesias, Untitled (Beirut Souk Shadow, I), 2011.
— Cristina Iglesias, Pozo V (Variation 2), 2011.
— Cristina Iglesias, Guided Tour III, 2011.