Dave Saint-Pierre partage avec Israel Galvan et Colin Dunne, eux aussi invités de la quinzième biennale de la danse de Lyon, une scénographie élémentaire: absence de décor, murs et éclairages à nu, les corps en prise directe avec le public, sans détour ni moyen de cacher, de recouvrir, de porter l’attention ailleurs, de mentir. Mais Israel Galvan et Colin Dunne innovent dans leur domaine — les claquettes irlandaises et le flamenco —, ils mettent l’individu et sa créativité au centre et réinventent un langage à partir du langage conventionné d’origine de leurs arts respectifs. C’est ce que fit en son temps Nijinski, dont on a entendu des extraits des Cahiers lus par Patrice Chéreau dans …Du printemps de Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères, prélude à une version unicirculaire du Sacre jouant sur les variations de rythmes de plus de vingt danseurs amateurs âgés de 60 à 83 ans. Les recherches d’Israel Galvan et de Colin Dunne ouvriront peut-être des portes, tout comme celles de Nijinski le firent. Dave Saint-Pierre a-t-il ouvert de nouvelles portes avec sa Création 2012?
Pour qui avait vu il y a quelques années Un peu de tendresse bordel de merde!, donné également à la Maison de la danse de Lyon, le compte innovation n’y était pas.
Des danseurs à vue sur une scène ouverte dès l’entrée des spectateurs, déjà fait par le même. Des corps dénudés, oui. Des courses, des cris, oui mais encore? Des interpellations du public — ici plus légère —, une seule en fait, fort «chorégraphiée» (il s’agissait de pénétrer avec les doigts tous les orifices de Cindy, innocente poupée en plastique qui finit violée par le courageux — et consentant? — spectateur venu se jeter à l’eau et sur lequel toute la troupe faillit passer avant de se rabattre sur la plastique Cindy).
Le mélange, encore, du loufoque parfois violent, et d’une espérance de tendresse humaine. Le tout donnant l’impression d’une quête du toujours plus dans la surenchère et la provocation. On se demande parfois si Dave Saint-Pierre ne s’est pas enfermé dans une image après laquelle il court, à un rythme éperdu. Est-ce pour cela qu’il rend éperdus ses danseurs et danseuses, au point de les mettre dans des situations limites?
Du nouveau dans les ailes d’anges dont on aurait parfois, pour les oreilles, préférés qu’il fussent restés enchaînés et surtout bâillonnés… Dans la trame autour d’un unique duo (un homme et une femme) qui suit comme un fil rouge les élucubrations fantasques d’une troupe de Cupidon bidons, allant jusqu’à se baigner dans un mélange de roses blanches et de sang rouge vif. Dans la violence d’une séquence à se jeter sur/sous/autour des grandes tables jouant le rôle de seul élément de décor.
Dans une autre séquence quasi militaire où les mêmes tables deviennent comme le seuil de tranchées prises d’assaut par des hordes de corps dans une tension musculaire spectaculaire faisant écho aux vociférations qui ouvrirent le show. C’est peut-être cet état de corps et ce jeu avec les limites qui laissent le plus à hésiter.
Les bleus qui parsèment les corps de certains interprètes dès la première représentation — bien visibles pour qui s’approche un rien d’eux —, ou la poupée Cindy expédiée jambes ouvertes dans la figure du spectateur volontaire qui en perdit l’axe d’équilibre de ses lunettes, posent la question de la maîtrise, de la limite et de l’intérêt des états générés.
Fallait-il cette heure et demie de déchaînements en tout genres — dans lequel l’humour est heureusement loin d’être absent, en définitive — pour que vive l’épure d’une vraie tendresse au sein de l’unique duo, couché sur une table au sein d’un immense plastique blanc envahi de liquide jaunâtre?
Faut-il traverser autant de violence et de démesure pour pouvoir un peu, peut-être, aimer? Peut-être… Parfois?…