Communiqué de presse
Sigurdur Arni Sigurdsson
Corrections
On ne plaisante pas avec la géométrie du soleil. Tout le monde sait cela, et Sigurdur Arni Sigurdsson plus que personne.
D’ailleurs, sa peinture au premier abord n’a pas l’air de plaisanter: on lui connaît depuis vingt ans qu’on le voit en France cette économie de la peinture faite d’aplats souvent monochromes, de figures décidées (des cercles souvent), parfois en réserve de couleur et montrant alors la toile nue; mais aussi de paysages qui, dans leur simplification, semblent appartenir à un monde d’artifice, d’une idéalité de jouet ou de maquette, de celle qui habiterait un grand aménageur rêvant de simplifier le monde, de lisser les désordres et les irrégularités de la nature, au profit de formes pleines et consistantes.
Mais (car il y a un mais, peu d’entre nous y ont cru, à ce paradis lisse, trop lisse), ces lieux, ces objets, ces architectures portent bien souvent leur autre, leur double, leur nécessaire complément pour rester nôtres: l’ombre. Bien sûr, elle est plutôt rassurante, nous ramène à notre monde et à notre rythme. L’ombre est un abri et la preuve de notre présence. Mais chez Sigurdsson, sous ses airs tranquilles et ses gris bienveillants, l’ombre mène ailleurs, par sa fixité, son obstination, parfois sa capacité à désarticuler, à disperser, à désorienter. La bienveillante cohérence de l’ombre, que nous exigeons d’elle, ici nous abandonne en terrain d’incertitude. Ou pis encore, comme il arrive dans ses grands tableaux aux fonds vert d’eau, quand l’ombre prend son autonomie, qu’elle se passe de celui ou de ce dont elle est le double. Elle mène sa vie grise de fantôme, de ce qui n’est plus, pas ou pas encore.
Il n’y a pourtant aucun penchant spirite chez cet artiste-là , mais bien plus, avec la tranquillité qui lui ressemble, cette certitude que l’imaginaire est fait autant de délices que de paradoxes, de plein que de vide, de choses qui marchent et des autres. Selon un équilibre qui n’est pas toujours visible…
Au revers du travail sur toile, ou sur papier, ou encore de la réalisation de projets dans l’espace public qui d’ailleurs souvent — comme avec celui qu’il a réalisé chez lui en Islande, ou avec cette commande publique toute récente, L’éloge de la nature à Loupian, près de Montpellier, jouent avec la lumière des astres — il y a un travail que l’on avait guère vu jusque là , qui aurait pu rester une sorte de délassement d’atelier et demeurer dans le secret: ce sont les Corrections que l’artiste montre aujourd’hui.
Sigurdsson en montre aujourd’hui près d’une trentaine, choisies dans la centaine de planches dans lesquelles il associe une image trouvée à une intervention graphique, plus ou moins importante. Ces images ont le plus souvent eu une première vie, comme carte postale par exemple. L’artiste se les approprie d’abord par un geste de l’élection, de sélection, dont la motivation n’est pas forcément évidente: paysages, scènes de genre, gens ou animaux, sites connus ou lieux banals, il n’y a sans doute guère de lien thématique entre ces images sinon qu’elles ont circulé (on compte aussi quelques timbres postaux ou encore une carte géographique) et qu’elles portent une atmosphère légèrement nostalgique, qu’elles appartiennent à une mémoire collective ordinaire, partagée, banale, et qu’elles sont pour bon nombre d’entre elles des images en noir et blanc.
Ce qui importe sans doute puisqu’à l’origine au moins, les interventions en forme de « corrections » sont réalisées au crayon, et qu’ainsi, sans chercher l’illusion, elles semblent prendre le parti de se faire simples prolongations de l’image. Collées sur leur support de papier, les images sont prises au jeu de leur cadre. Les interventions sont en effet souvent en rajout, en prolongement de la structure graphique de l’image, en poursuivant la structure d’une architecture, en étirant une ligne de fuite, en complétant un personnage, un signe, un motif, au-delà de l’arbitraire du cadre photographique.
La peinture se joue là du hors champ, dont on sait l’importance au cinéma, mais aussi pour celui qui tente de faire tenir des images dans le cadre du tableau. Il ne s’agit pas pour autant de détournement, car la grâce de ces interventions est toujours de trouver leur raison dans l’image même, qui n’est jamais trahie mais au plus continuée dans une logique graphique ou thématique, par analogie visuelle, duplication décalée, complément ou extension.
C’est une pratique à la fois adroite et légère par le traitement mais puissante, au point de transformer des situations banales en conduisant à la suspension de l’évidence par le trop d’évidence. Une pratique de la grève du zèle dans l’image, qui avec un traitement presque enfantin mène pourtant à une perception trouble, double. Suspension d’évidence, grève du zèle, toutes figures par lesquelles Freud décrit ce qu’il désigne le mot d’esprit, le witz, qui ouvre à ce mode de connaissance du monde paradoxal qu’il nomme, dans un sens autrement plus dense que celui que dévoie notre usage banal: humour.
Rien là qui pousse au rire mais plutôt à une suspicion à part égale délectable et délétère, qui fait de la mièvrerie un réservoir de stupéfaction. S’il en fallait encore un indice, le lien avec le travail du peintre passe souvent à nouveau par la figure contrastée de l’ombre. La nuque basse, ce caniche qui montre son échine se voit ainsi éclairé par un double soleil dont on comprend bien qu’il est menace. La bête le sait. Quant aux blondes islandaises dans leur bain d’eau chaude, elles sont à leur tour chosifiées comme le macareux de planche d’ornithologie. Ainsi s’en faut-il de peu, quelques traits de crayons, un rehaut, une reprise, pour que le pittoresque, le vernaculaire, l’anecdotique n’en révèle pas moins qu’un tableau d’une étrange consistance du monde. Et de son ombre.
Vernissage
Jeudi 12 mai. 18h-21h.