Conversations européennes…
Le développement de l’art d’Europe de l’Est depuis 1945 emprunte, nous le savons, à des modèles historiques et à des conceptions de la sphère publique qui diffèrent de ceux de l’Europe de l’Ouest. Ce que l’on nomme aujourd’hui la critique institutionnelle, à l’Ouest, s’articulait originellement à un soutien de la critique d’art qui a conduit progressivement à sa professionnalisation. À l’Est, la possibilité d’une critique ouverte n’existait pas, et il faut admettre qu’il est impossible de trouver un équivalent à certaines pratiques de l’Ouest à l’Est (et inversement). Mieux vaut se tourner vers certaines stratégies et tactiques des artistes qui prenaient en compte l’absence de tout système de l’art dans le contexte où ils travaillaient, et cherchaient à initier une alternative aux politiques culturelles des musées et galeries appartenant au système communiste.
La période des années soixante aux années quatre-vingt à l’Est se caractérise par l’absence de tout fonctionnement artistique officiel autorisant les processus d’historisation, d’archivage, de documentation, d’interprétation et de diffusion des pratiques artistiques conceptuellement et politiquement radicales. Cette situation a eu pour résultat d’isoler les artistes, et d’exiger d’eux qu’ils élaborent seuls les possibilités de leur propre survie. Pour eux toute critique de l’institution allait de pair avec une vraie lutte pour la visibilité et la légitimation de leur démarche. Comme nous le verrons, dans certains cas les stratégies des artistes n’étaient pas directement critiques, mais prenaient la forme d’une approche constructive. Comme le dit Miran Mohar, du groupe Irwin, “comment peut-on critiquer quelque chose qui vous manque?”. Pour reprendre le slogan des mêmes Irwin, il sera ici question de la manière dont les artistes “construisaient leur propre contexte”.