Controverses

L’affiche douteuse, accrocheuse, racoleuse, incestueuse, avec un curé fou de la messe prêchant le faux pour savoir le vrai et une bonne sÅ“ur refusant qu’on lui palpe la rate sous la chemise, signée du publicitaire m’as-tu-vu Toscani, nous avait certes alerté, voire alarmé. Mais on s’était dit qu’avec la caution de la Bibliothèque nationale de France et du musée de l’Élysée (Lausanne), on n’avait rien à craindre. Erreur fatale…

Il faut bien avouer qu’on est devenu allergique aux expositions thématiques. Ici, le problème posé, n’a rien d’actuel, encore moins d’urgent. C’est, paraît-il, celui de la photographie lorsque celle-ci devient sujet ou matière à controverses.
Vous savez bien! le choc titanesque des photos, la surcharge pondérale des mots… Au lieu d’être un simple témoin de son temps, le daguerréotype chercherait l’esbroufe, l’effet bÅ“uf, bref aurait attrapé la grosse tête et se serait pris pour la peinture.

Il est vrai que la photo connaît, dès le départ, dès le XIXe siècle, les trucs spirites à dormir debout, le mentir-vrai, l’omission, la disparition, la retouche, le gommage, le recadrage. On le sait depuis longtemps, elle est à prendre avec des pincettes. Elle ne démontre rien ou pas grand chose. Dans le meilleur des cas, juridiquement parlant, c’est un élément de preuve, pas une preuve en soi. Alors pourquoi vouloir en faire un fromage ?

L’exposition «Controverses» suit un parcours sans imagination: chronologique. En quatre-vingts images illustrées, si l’on peut dire, par des cartels relativement longuets, fastidieux à lire, on passe de l’Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard (1840) au portrait léché, si l’on peut dire, d’Angelina soi-disant Jolie en compagnie de la plus vieille conquête de l’homme, réalisé en 2004 par David LaChapelle.

Cherchez l’erreur. Ou la petite bête. Telle semble être la consigne des concepteurs de cette exposition qui n’a de photographique que le nom ou le prétexte. Car pour qui refuse de lire les commentaires et se contente de mirer les tirages, cet accrochage n’apporte rien, ni plaisir de la découverte, ni surprise de nouveaux rapprochements.
La plupart des clichés sont non seulement connus, répertoriés, publiés, vus et revus, mais, nous semble-t-il, ils relèvent essentiellement du photojournalisme, de l’illustration pour magazines, de la publicité complaisante (peut-il en être autrement ?), pas vraiment de l’histoire de l’art.

La problématique, comme dirait l’autre, est, du coup, juridique, déontologique, éthique, édifiante, pieuse, moralisatrice, coutumière (du fait), exemplaire, aléatoire, contingente, jurisprudentielle, tout ce qu’on voudra sauf ontologique ou, simplement, esthétique. Autrement dit, les images ont pour les organisateurs toutes un peu la même valeur artistique.

Les personnes qui ont imaginé cette démo semblent obsédées par le corpus de doctrine consacré par les décisions des tribunaux, ici ou là. Or, on sait bien qu’une loi peut à tout moment être mise en cause par le premier gouvernement venu ou être en quelque sorte «retoquée» par un simple jugement local. Pourquoi vouloir faire un état des lieux qui, au moment de la mise sous presse ou sous plis, sera forcément caduc ?

Les questions posées sont donc loin d’être nouvelles ou dignes d’intérêt: la photo est-elle un art? Et alors lequel, quand on sait que la huitième place est occupée par la radio-télévision, la neuvième par la BD, la dixième revendiquée par les jeux vidéo? N’y aurait-il pas un droit à l’image (voilà autre chose !) ? Et Dieu dans tout ça? Et le sexe? Et l’amour? La photographie est-elle une police des mœurs?

Ce qui est le plus gênant d’ailleurs, ici, c’est lorsque la photo ne donne pas vraiment matière à débat — voir Noire et Blanche de Man Ray (1926). Le cartel a beau chercher la petite bête, on sent qu’on s’est un peu forcé ou qu’on est carrément hors sujet. De même, on n’est pas convaincu par les démonstrations relatives à la question du plagiat — le différend entre Bourdin et Mondino.

Il faut reconnaître que le problème pédophilique préoccupe les commissaires: outre la fillette photographiée par Lewis Carroll (1859), quatre ou cinq autres clichés illustrent par ailleurs ce thème — le plus réussi étant le portrait en couleur réalisé par Garry Gross de la prépubère Brooke Shields (1975).
L’érotisme est exemplifié par les sempiternelles femmes à poil — voir le beau cliché de Steven Meisel avec la mignonne Sophie Dahl allongée, attendant son aspersion d’Opium d’YSL (2000).
Un seul tirage est vraiment hard : l’autoportrait de Robert Mapplethorpe, façon Pierre Molinier, s’introduisant un gros fouet en cuir en son for intérieur (1978). Peu de place est faite à l’élégance — Dovina et les éléphants par Richard Avedon (1955).

Le reste est un vrac de lieux communs journalistiques et de documents devenus, avec le temps, plus ou moins historiques: la fameuse mise en scène scabreuse de Robert Capa pendant la Guerre d’Espagne (1936), le drapeau soviétique de Khaldei flottant sur le Reichstag (1944), Sartre encore fumant par Lipnitzky (1946), le Baiser de l’Hôtel de Ville de Doisneau (1950), Le Che vu par Korda (1960), Buzz Aldrin marchant à son tour sur la Lune (1969).

Les mauvaises langues — il y en a toujours, plus qu’on croit! — diront que l’expo aurait dû avoir pour titre «Contresens» plutôt que «Controverses».

Lewis Carroll
— Alice as a beggar child, by Lewis Carroll 1859. Photographie. Dimensions variables

Evgueni Khaldei
— Le Drapeau rouge sur le Reichstag,Berlin, 2 mai 1945. Photographie. Dimensions variables

Boris Lipnitzki
— Jean-Paul Sartre, Théâtre Antoine, Paris, 1946. Photographie. Dimensions variables

Anonyme
— Aldo Moro after being kidnapped by Red Brigades, 1978. Photographie. Dimensions variables

NASA
— Buzz Aldrin on the Moon, July 20, 1969. Photographie. Dimensions variables

Marc Garanger
— Portrait de Cherid Barkaoun, Algérie 1960-1961. Photographie. Dimensions variables

Oliviero Toscani
— Kissing-nun, 1992. Photographie. Dimensions variables