Objet de tous les financements, de toutes les promotions, de toutes les spéculations, ce que l’on nomme «l’art contemporain» poursuit sa conquête des lieux publics et patrimoniaux: du néo-kitsch à Versailles aux installations déployées au Louvre, du homard (Jeff Koons) au ver de terre (Jean Fabre), pas un musée, pas un palais national qui ne soit vampirisé par ce «chaos rampant» (Lovecraft)! L’Hôtel de la Monnaie, où nombre de graveurs et de sculpteurs issus des Salons historiques se sont brillamment illustrés, s’apprête à soumettre l’édifice au diktat du conceptuel à prétention «avant-gardiste»… Souhaitant s’y déployer, le Salon d’Automne a essuyé, par téléphone, un refus dédaigneux: «Le Salon d’Automne? Ce n’est même pas la peine d’y songer!»…
Constatant les moyens financiers considérables concentrés sur une seule esthétique néo-duchampiste alimentant un marché mondial du scandale où l’apologie de la laideur le dispute au rien, au sale et au répugnant, les créateurs oeuvrant dans les disciplines des arts plastiques dénoncent l’hégémonie que cet «art» dit «contemporain» exerce aux dépens de la plus vaste communauté artistique de notre pays.
Déplorant la dépossession galopante de leur statut d’artiste et le mépris dont ils font l’objet de la part des pouvoirs publics, les artistes décident d’entrer en résistance… Victimes de ce que les mathématiques désignent par les «partages inégaux», ils sont de plus en plus nombreux à affirmer leur identité face au mur de silence édifié autour de leurs travaux. Le positionnement frileux des galeries à leur égard et le coût exorbitant des sites d’exposition appliqué aux Salons historiques engendrent une dramatique pénurie de solutions pour montrer leurs oeuvres.
Du courage, il en faut pour «oser» apprécier un art désigné à la vindicte populaire comme ringard, dépassé, nul et non avenu! La tyrannie est telle que les Salons historiques réunis au Grand Palais sous la bannière d’Art en Capital sont présentés sur un site Internet (Art and You) comme «cinq foires d’art contemporain»! Outre la tonalité marchande que soulignait déjà l’absence regrettable du « e » d’Art en Capital et pour pathétique qu’il paraisse plus de trente ans après l’instauration des grandes foires internationales, ce «copier-coller» n’en révèle pas moins un criant besoin de reconnaissance… N’ayons pas honte de notre identité de Salons historiques et revendiquons cette spécificité française porteuse d’une mémoire artistique et littéraire étincelante où s’illustrèrent les plumes de Diderot, Baudelaire, Huysmans, Apollinaire, Mirbeau, Elie Faure, Aragon, René Huyghe!…
Devenu un produit spéculatif juteux, financièrement comme en termes d’image, l’art contemporain a précipité les artistes hors-circuit dans une solitude extrême et dans l’impossibilité de faire connaître leurs travaux.
Il en est de même pour les Salons historiques invités à développer eux-mêmes leur «propre économie». Mais comment y parvenir quand toutes les portes se ferment, quand on vous réplique sur le ton de l’évidence et la main sur le coeur … que «les peintres et les sculpteurs, ça n’intéresse plus personne»! La condamnation hier de «l’art dégénéré» n’est pas sans analogie avec le soutien exclusif à l’art contemporain aujourd’hui: l’un est ouvertement éliminé quand on s’arrange pour que l’autre élimine tout le reste. A l’évidence, l’élargissement incontestable des champs plastiques est une aubaine pour évacuer définitivement ces notions honnies entre toutes, de «tradition» et de «métier»: vidons la baignoire et le bébé avec!
Dans ce contexte d’un «Dresden esthétique» autorisant le pilonnage intensif des peintres, graveurs et sculpteurs, les Salons d’artistes offrent un bastion de résistance non négligeable. Certes la lutte est inégale. Face au mépris général, les artistes non-labellisés «art contemporain» n’ont que leurs oeuvres à opposer; pour autant, ils auraient tort de s’installer dans un fatalisme bien compréhensible. La messe n’est pas dite, quoi qu’on en dise…
Si l’art contemporain est parvenu à envahir et contrôler tout le champ esthétique, son ascension n’est pas récente. Les actuels locataires du ministère de la Culture ne font que pérenniser une politique instaurée il y a plus de quarante ans. Depuis 1965-1966 et la pénétration croissante des intérêts américains dans la politique culturelle française, le mot d’ordre «l’avant-garde, sinon rien!» règne en maître sur le paysage artistique de notre pays. L’arrêt brutal des achats par l’Etat d’oeuvres exposées dans les Salons historiques révélait la tutelle exercée par les marchands d’art d’outre-atlantique.
Des centaines d’artistes qui avaient patiemment élaboré une oeuvre et conquis une certaine notoriété se voyaient soudain relégués au rancart. Tout un pan de la création contemporaine était méthodiquement liquidé. L’«Ecole française», que l’on n’ose plus appeler ainsi sous peine de passer pour un affreux réactionnaire, était sacrifiée. «Ce qui compte, c’est l’bénef!», chantait déjà Léo Ferré.
A l’évidence, l’art contemporain nourrit toutes les vanités mercantiles. La gauche française porte une lourde responsabilité dans son soutien délibéré aux oeuvres conceptuelles, devenues «art de cour» sous le règne de Jack Lang, redoutable commanditaire en la matière.
D’aucuns accusent Marcel Duchamp de tous les maux. Jamais il n’aurait accepté d’endosser la paternité d’une idéologie post-moderne qui, un siècle après le célèbre Urinoir, nous propose de faire de son contenu, au sens propre, une oeuvre d’art!
Un nouveau pompiérisme affublé du costume de l’avant-garde, telle est la grande tartufferie du moment. Les mêmes qui désignent les peintres, sculpteurs et graveurs comme les australopithèques de l’art, alimentent une cuisine faisandée, véritable «marketing de l’abject» qui n’est que la duplication affligeante d’une posture vieille d’un siècle et dont le processus d’ossification a évacué le concept novateur.
Peu importe que cet académisme, pour reprendre la formule de Lorjou, fasse «braire les ânes, bayer les singes, se pâmer les poules». Il s’agit quand même de l’utilisation faite par l’Etat de l’argent du contribuable et cela n’amuse personne. Le coût exorbitant de la promotion de l’art contemporain s’exerce sans aucun contrôle et se fait sur le dos des artistes disqualifiés pour cause de compétence professionnelle et de fidélité aux outils du peintre, du graveur et du sculpteur.
Les agités du bocal post-moderne à prétention avant-gardiste ont beau discourir à l’infini: les arts de la main ne sont pas morts et, pour ne nommer que ces disciplines, ni la peinture, ni la sculpture, ni la gravure, ni l’art mural n’ont épuisé leur potentiel émotionnel.
Mais il faut une bonne dose d’héroïsme pour affirmer leur nécessité face aux administrations dédaigneuses, aux plumes assassines des revues «branchées», aux spécialistes patentés attribuant le «génie» aux uns et la «médiocrité» aux autres, au mépris souverain des médias, aux commissaires priseurs qui font leur beurre avec cette falsification générale!
On sait que tout art véritable porte en son sein une critique du monde. La supercherie consiste à éliminer toute pensée critique au nom d’une liberté d’expression habilement assimilée à l’expression du libéralisme dont la seule exigence est le profit à court terme.
Il va de soi – n’est-ce pas?… – que cette liberté d’expression existe!
Qu’importe si elle diffuse partout, et à tous, une pensée unique, une esthétique unique! Faut-il que cette société ait si peur pour bâillonner ses artistes et abolir toute pensée critique de son horizon, c’est à dire, toute perspective pour l’humanité? Un système qui agit ainsi, ne porte-t-il pas un nom spécifique?…
Artistes résolument indépendants, nous réclamons à l’Etat…
— Des moyens, un lieu: des moyens suffisants et un lieu permanent afin de permettre aux Salons historiques, sous peine de disparaître, d’exposer leurs artistes dans des conditions de respect et de dignité,
— L’égalité des aides: un partage au moins égal avec les subventions pharaoniques accordées aux officines de « l’art contemporain » (Palais de Tokyo, Grand Palais, galeries des Frac, Drac, Fiac),
— La neutralité: que l’Etat cesse son parti-pris intolérable en opérant des choix esthétiques via ses fonctionnaires et assure le pluralisme des commissions d’acquisitions dans lesquelles toutes les tendances doivent être représentées,
— L’investissement éducatif: la relance d’une véritable formation au métier de peintre, de sculpteur et de graveur dans les écoles d’art publiques sous peine d’anéantir une mémoire et un savoir-faire artistiques millénaires,
— L’accès aux medias du service public. Enfin, nous demandons à ce que le service public de télévision rende compte, à une heure de grande écoute, de la tenue des expositions annuelles des Salons historiques. Il ne s’agit pas de quémander une quelconque « faveur ». Il s’agit d’octroyer une simple mesure de respect et d’équité.
Les récents colloques qui se sont tenus autour du statut de l’artiste ont souligné la nécessité de diversifier le financement de l’art, sans jamais préciser que ce financement concernait, comme de bien entendu, le seul « art contemporain» représentant à peine 5% de la production artistique de notre pays…
Contre l’appel hypocrite en faveur de la diversité du financement de l’art, exigeons le financement de la diversité artistique!
Le Conseil d’Administration du Salon d’Automne:
Jean-Pierre ALAUX, peintre; ANGEL-PERES, sculpteur; Francine AUVROUIN, peintre et sculptrice; Monique BARONI, peintre; Noël CORET, écrivain d’art; Claude-Jean DARMON, graveur; Jean DESVILLES, peintre; José DIAZ FUENTES, sculpteur; Pierre EYCHART, peintre; Françoise FRUGIER, sculpteur; André HERVIO, peintre; Mireille JUTEAU artiste plasticien; Sylvie KOECHLIN, sculpteur; Danièle LE BRICQUIR, peintre; Denis LEGRAND, architecte et peintre; Jean-Bernard POUCHOUS, peintre; Jean PREVOST, peintre; Michel SAVATTIER, peintre; Jean-Pierre VERDEILLE, peintre: André VIGNOLES, peintre; Jean-Pierre ZENOBEL, photographe.