Communiqué de presse
Etienne Chambaud
Contre-Histoire de la séparation
Coupé, le flux des rivières! L’île de Vassivière, ancienne colline devenue île à la construction d’un barrage, est un lieu de fond en comble écrit par cette séparation, cette ponctuation dans le paysage. Sur la scène de l’île, la réconciliation cherche à soigner la coupure: la nature y est recréée, replantée, contrôlée.
Le centre d’art, construit par Aldo Rossi et Xavier Fabre, est une sculpture avant d’être un bâtiment, et l’île est son socle. Une sculpture écrite: où un phare est l’idée d’un phare, une toiture, un bateau retourné, trois marches, un théâtre. Cette architecture porte son écriture, son rapport à son socle, sur sa surface même: elle exprime ce que l’île cherche à dissimuler: son artificialité.
La beauté du lieu –son étrangeté, sa nature non naturelle– se confronte ainsi aux strates de textes qui l’écrivent: les besoins énergétiques de la région qui transforment la colline en île, la coupure de béton, la forêt plantée, le pont construit, l’implantation d’un centre d’art. La politique culturelle qui s’y déploie cherche la réconciliation des contraires jusque dans son vocabulaire: il n’y a pas ici de parc de sculptures, mais un bois de sculptures.
Ce qui se joue sur cette scène, à l’échelle d’une île, est une superposition de cadrages. Des cadres, les uns sur les autres, incluant et excluant, tour à tour. Dans un vocabulaire qui nous rappellerait les métaphores navales de l’architecture du centre d’art, on nommerait ces cadres des arraisonnements.
Mais, Arraisonnement est avant tout la traduction française du concept philosophique de Gestell, littéralement, l’encadrement, le socle, que Martin Heidegger définit comme le mode de dévoilement qui régit la technique moderne, ou, pour le dire mal et vite, comment un cadre appelle un autre cadre pour sauver son cadrage.
C’est à partir de la lecture de ce contexte de mises en abîme successives que l’exposition « Contre-Histoire de la Séparation » se développe. Certes, comme un nouveau cadre dans le cadre, mais se concentrant non pas sur ce qu’un cadre cadre, mais sur le hors-champ qu’il provoque. Non pas sur ce que l’exposition expose, mais sur ce qu’elle exclue.
Avec « Contre-Histoire de la Séparation », Etienne Chambaud (1980, Paris) continue ainsi à questionner sa notion de «Musée Décapité», un musée d’objets toujours et déjà écrits, un musée qui est autant un lieu d’exposition que d’exclusions.
Le film qui donne son nom à l’exposition, co-écrit avec Vincent Normand, est un documentaire dont les principaux acteurs sont le Musée et la Guillotine. Ensemble d’entrées lexicologiques, de fragments, le film est composé à partir de son texte, de la voix-off qui le supporte. Viennent ensuite les images, tournées sur un dispositif inspiré du banc-titre d’animation, dans lesquelles des mains dont les corps restent hors-champs tentent de synchroniser la manipulation de documents à la voix pré-enregistrée.
Le film débute sous la Terreur avec l’invention simultanée du musée public et de la guillotine, et s’achève en 1977, année de la dernière décapitation en France et de l’ouverture du prototype du musée transparent post-moderne, le Centre Pompidou. Il s’intéresse au moment de la dissolution des fonctions politiques de la guillotine et du musée moderne dans ce que les auteurs cherchent à définir comme le «Musée Décapité», le lieu de dissolution de la coupure (la guillotine) et de la suture généalogique (le musée moderne), le lieu qui expose, de fait, la séparation, la faille existante entre les objets montrés et le récit patrimonial, culturel, politique qui cherche à les lier.
Analysant l’autonomie, le machinique et l’auto-érotisme à l’oeuvre dans son propre dispositif, comme dans ceux de la guillotine et du musée, le film s’attarde sur le «moment» des
Machines Célibataires, figure dans laquelle il chercherait sa méthode: les images et le texte y co-existent dans leur rapport d’exclusion mutuelle et y demeurent, précisément, célibataires.
Redéployant les contradictions, les tensions et les malentendus du film à l’échelle de l’espace du centre d’art, l’exposition « Contre-Histoire de la Séparation » explore le vertige comme condition même de son dispositif: un déséquilibre permanent entre la matérialité des oeuvres et le langage qui les supporte. Aussi l’exposition est-elle construite à partir de la librairie du centre d’art. Le film y est diffusé, un certain nombre d’ouvrages, choisi par l’artiste y sont présentés.
Point pivot de l’exposition, la librairie est la première et la dernière salle de l’exposition, l’exposition part du texte, et y retourne. La librairie est à la fois bibliothèque –où se donnent les sources, les origines plus ou moins lointaines, illusoires, voire perdues de l’exposition– et sa boutique: le lieu de son produit dérivé, de son reste.
Mais, à vrai dire, l’exposition aura déjà commencé avant d’entrer dans le bâtiment. Dans la prairie un corps mort en béton a été coulé. Un câble d’acier y est attaché qui remonte à l’oblique jusqu’au sommet du phare, il y entre par une fenêtre et redescend verticalement à l’intérieur. Le phare semble ancré dans l’île, nouvel arraisonnement. Tenu par l’île, à travers l’architecture qui la domine, pend un mobile contraint dans ses déplacements, un mobile immobilisé: Modèle pour l’Hospitalité i.e. l’Exclusion.
Après la librairie, la nef est occupée par La visite au Musée. L’espace semble vide: quelques cartels en marbre et un socle exposent en négatif des peintures de genre et une sculpture antique.
Dans l’atelier, pendent des objets suspendus par des câbles traversant le plafond.
Dans la salle des études, des pierres ramassées sur l’île, sont érigées les unes sur les autres, en de fragiles colonnes soutenues par le poids des objets aperçus un étage plus bas.
Dans le petit théâtre, une rature en néon est installée devant une fenêtre. Elle vient marquer la séparation entre l’architecture et ce qu’elle cadre du paysage.