Maria Thereza Alves
Constructed Landscapes
« Constructed Landscapes » est la première exposition personnelle de Maria Thereza Alves à la galerie Michel Rein.
L’écosophie de Maria Thereza Alves.
L’art de Maria Thereza Alves s’établit sur la base d’une pensée écologique. Elle aborde les écosystèmes à travers le dynamisme des équilibres générés par la diversité des espèces.
Elle met en place des procédures d’enquête, nécessitant en tout premier lieu son inscription dans le paysage spécifique, humain et territorial, qu’elle aborde.
Les méthodes de l’archéologie sont mises en oeuvre pour ses grands projets Seeds of Change et Wake, qui révèlent une cartographie secrète de la mondialisation à travers les déplacements des plantes dans les vêtements des voyageurs et le ballast délesté par les navires marchands.
En établissant ses recherches à côté des scientifiques, Maria Thereza Alves affirme la possibilité pour l’activité artistique de développer une pensée de la vie procédant d’un alliage de savoirs sensibles et cognitifs. Une écosophie, au sens où Félix Guattari pensait l’articulation éthico-politique entre les trois registres écologiques : l’environnement, les rapports sociaux et la subjectivité humaine. Il s’agit pour elle de saisir les processus de singularisation des formes de vie. En mettant en évidence une poétique de la diversité, qui échappe aux pouvoirs et aux injonctions de territorialisation.
La migration des plantes est liée à l’histoire de la globalisation, en écho à la migration contrariée des personnes. Le marché des végétaux est l’un des lieux-limites de jonction entre premier et tiers mondes.
What is the Color of a German Rose ? exprime les paradoxes de cette exploitation. Dans une vidéo aux sons et couleurs suaves, mixte de programme éducatif et de démonstration commerciale, une jeune femme nous présente une succession de fleurs, fruits et légumes tandis qu’une voix-off masculine désigne leurs lieux d’origine.
Une géographie du commerce mondial est ainsi dressée à partir de la disponibilité des biens de consommation courante dans une ville européenne. De l’étal du supermarché au buffet en nature morte s’exprime l’orgie consumériste inventée par le capitalisme, faisant fi des conséquences écologiques d’un tel trafic quotidien à la surface du globe.
Sous les aspects d’un ouvrage de ferronnerie, la sculpture Through the Fields and into the Woods rassemble des plantes dites européennes qui, bien sûr, ne le sont pas toutes. « L’oeuvre est une sorte de « barrière » aux présomptions d’une histoire « connue » qui suppose l’identité comme linéaire », nous dit Maria Thereza Alves.
Sur ce plan de consistance viennent se rassembler des représentations de végétaux constituant un paysage pensé comme vernaculaire et pourtant importé d’autres cultures. La remise en cause des notions communément admises définissant l’identité culturelle est l’un des axes constants de la critique construite par l’artiste.
Les arêtes acérées des végétaux grimpant sur cette porte entre deux mondes viennent interroger la restriction actuelle du droit à la libre circulation des personnes. Les plantes circulent, tant et si bien qu’elle font du monde un « jardin planétaire », mais les êtres humains, eux, selon leur provenance, sont privés de la même liberté.
Une volonté de critique des structures coloniales fonde la recherche de Maria Thereza Alves. Elle emploie les méthodes de l’enquête ethnographique et anthropologique, en les appliquant en retour aux cultures occidentales. La persistance de l’ethnocentrisme européen est ainsi mise en évidence.
Pour la vidéo Male Display Among European Populations, une ethnologue amérindienne interroge un homme italien sur les rituels et croyances quotidiens qui le conduisent à se toucher les testicules par superstition. La curiosité polie de l’ethnologue renvoie au regard condescendant pratiqué par les cultures dominantes sur les peuples qu’elles désignent comme « autres ».
L’effet de miroir ironique produit par ce principe d’inversion en appelle à un élargissement de la compréhension de l’humanisme, en entrant dans « les mutations de la pluralité consentie comme telle », ainsi que nous y invite Edouard Glissant. C’est le combat de l’artiste de « contribuer peu à peu à faire admettre « inconsciemment » aux humanités que l’autre n’est pas l’ennemi, que le différent ne m’érode pas, que si je change à son contact, cela ne veut pas dire que je me dilue dans lui », nous enseigne le penseur du Tout-monde.
Le projet Fair Trade Head part d’un événement récent de l’actualité française, lorsque le ministère de la culture a empêché la ville de Rouen de restituer à la communauté Maori de Nouvelle-Zélande une tête conservée dans la collection de son Musée d’histoire naturelle. En réponse à ce soutien du commerce des restes humains par le gouvernement, l’artiste invente un programme de « Tête équitable », pour lequel des citoyens européens choisiraient de donner leur tête en remplacement symbolique. De la logique patrimoniale et néo-coloniale de l’Etat découle la logique implacable du projet de l’artiste, qui propose l’application simple et radicale du principe fondamental d’égalité.
L’art est un lieu de mise en évidence des paradoxes qui fondent la culture contemporaine. Une expérimentation de nouveaux rapports sociaux qui seraient fondés sur une responsabilité éthique travaillant à mettre fin aux pratiques archaïques et destructrices du monde occidental. Une invitation à dépasser la division binaire nature-culture. Pour comprendre l’histoire commune qui lie humains et non-humains. Pour comprendre l’humanité de l’animal.
Comme dans la vidéo Bruce Lee in the Land of Balzac, où un cri dont on ne sait s’il est celui d’un chat sauvage ou d’un karateka monte dans un paysage de brouillard hivernal. Un paysage culturel français, celui de La vallée du Lys, requalifié par le spectacle cinématographique des arts martiaux asiatiques. En lutte avec ces cultures disjonctives, le mystère du cri vient évoquer un état originaire de coexistence entre humains et animaux. En rappelant l’ambiguïté du concept de « nature humaine ». Les animaux sont des humains comme les autres. »
critique
Constructed Landscapes