— Éditeur(s) : École nationale supérieure des Beaux-Arts
— Collection : Guide de l’étudiant en art
— Année : 2002
— Format : 21 x 16 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Page(s) : 642
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-84056-101-8
— Prix : 45 €
Introduction (Extrait)
par Annick Bureaud et Nathalie Magnan
Ce livre est un recueil de textes sur les pratiques artistiques qui sont catégorisées sous les termes « Net art » [Le « Net art » recouvre un ensemble de pratiques artistiques qui utilisent le net. Net art est le terme générique alors que net.art désigne un courant des années 90.] et « art de la communication » [Le terme « art de la communication » est apparu au début des années 1980 pour désigner les pratiques artistiques utilisant les moyens et les technologies de communication comme matériau et objet de l’art.] c’est-à -dire qui prennent, ou ont pris, les moyens et les technologies de communication (les médias) comme matériaux et lieux de la création et comme enjeux artistiques, culturels et politiques. Il réunit des textes historiques et actuels, des textes de référence et des fragments d’obscurs mails, des manifestes, etc., qui proposent des descriptions, des analyses et des prises de position sur les pratiques artistiques mais aussi des décodages culturels et techniques, des repérages de rapports de forces.
En aucun cas, ce recueil n’est la somme des textes fondateurs sur le sujet, certains ont été néanmoins très contaminateurs.
Il est né de notre rencontre dans une conférence internationale et de la convergence de notre constat, constat partagé par Mathilde Ferrer, directrice de la collection « guide de l’étudiant en art » de l’Ensba. Il nous semblait, qu’à de rares exceptions près [entre « Electra », organisée par Frank Popper au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1983 et « Les Immatériaux », co-organisée par Jean-François Lyotard en 1985 au Centre Georges Pompidou et les récentes présentations d’œuvres d’art du net, peu de grandes manifestations se sont déroulées en France et les festivals y ont connu de courtes durées de vie.] : ZAC 99 [ZAC 99, a été une fenêtre laissée aux plus jeunes curateurs entre deux expositions à l’ARC. Cela a permis, notamment, à Fréderic Madre d’organiser plusieurs tables rondes avec les net.artistes les plus actifs du moment http://pleine-peau.com/pls-tk!/ ; http://pleine-peau.com/xtra/zac99/ ; http://emedia.free.fr/zac99.htm.], ISEA 2000 [http://www.isea2000.com/. Voir les actes de la conférence en ligne], Les nuits savoureuses — Interférences du CICV, par exemple — http://www.interferences.org), la France était largement en dehors des pratiques et des débats sur l’art, le réseau, le code et en dehors des grandes manifestations internationales [Les plus anciennes sont SIGGRAPH aux États-Unis, conférence technique et salon professionnel qui inclut des présentations artistiques, Ars Electronica en Autriche, premier festival consacré entièrement à la création artistique. En France, nous avons vu apparaître et disparaître Imagina (conçu sur le modèle de Siggraph) ; Artifices a connu le même sort. Parmi les grands festivals et conférences internationaux, citons ISEA qui a commencé à Groningue, aux Pays-Bas pour itinérer depuis dans des villes et des continents différents à chaque édition ; DEAF, organisé par V2 à Rotterdam ; Next Five Minutes à Amsterdam. Aujourd’hui, nous assistons à la multiplication de ces événements qui deviennent, bien souvent, de plus en plus spécifiques (parfois même avec le moins de monde possible). On trouvera une présentation des manifestations historiques dans Art et technologie : la monstration, http://www.olats.org/setF6.html, section « Études ». Pour les mailing listes en français voir olalaparis (olalaparis-request@ml.free.fr?subject=faq) ou encore nettime-fr (http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr). Une liste des publications périodiques en ligne est disponible à http://www.olats.org/setF5.html.].
Le manque de références en langue française dans le domaine des pratiques artistiques et des théories esthétiques liées aux technologies de la communication est flagrant, soit parce que ces textes sont devenus introuvables, le plus souvent parce qu’ils sont en anglais et n’ont jamais été traduits dans notre langue (alors qu’on peut les trouver en espagnol, en allemand, en portugais, en italien, en japonais, en coréen, etc.).
L’art du net, tout comme avant lui l’art de la communication, n’est pas uniquement américain. Ce n’est pas parce que la langue d’échange est l’anglais que les artistes, et les approches intellectuelles et politiques, viennent des États-Unis. À cet égard les pays de l’Europe de l’Est [demandant moins d’investissements financiers que les installations interactives ou de réalité virtuelle, l’art du net s’est développé rapidement dans les pays de l’ancienne Europe de l’Est. Le réseau était aussi un moyen d’échanges « hors contrôle » pour des communautés pour lesquelles il était difficile de voyager, qui avaient été – ou étaient encore – isolées du reste monde ou dans des situations de conflits. À celà , s’est ajouté le soutien financier de la Fondation Soros qui a permis à de nombreux médias labs, comme par exemple C3 à Budapest, de se créer et de dynamiser la création et l’expérimentation dans plusieurs de ces pays.] ont une place fondamentale dans le Net art (notamment Slovénie, Russie), tout comme l’Europe occidentale, mais aussi l’Australie, le Canada ou encore le Brésil ont eu un rôle essentiel dans l’art de la communication de la fin des années 1970 et des années 1980.
Face à l’étendue du champ, conjuguer nos forces et nos connaissances à celles de l’Ensb-a était pour nous la seule réponse appropriée. Nous venons d’horizons différents, l’une, Annick, dans la mouvance de Leonardo [http://mitpress2.mit.edu/e-journais/Leonardo/ et http://www.olats.org] et FineArt Forum [http://www.fineartforum.org/] et lisant Rhizome [http://rhizome.org] tout autant que Spectre [http://coredump.buug.de/cgi-bin/mailman/listinfo/spectre] et l’autre, Nathalie dans celle de nettime [http://www.nettime.org/] surveillant Rhizome, Copyleft [http://Iists.april.org/wws/ardcopyleft-attitude], Multitudes-info [sympa@samizdat.net?subject=subscribe%20multitudes-infos] et active sur les listes cyberféministes [en français : sympa@univ-tlse2.fr?subject=subscribe%20etudesfeministes-1; en anglais voir aussi http://obn.org/]. Toutes deux aimant les machines et les modems, fans de Star Trek (mais pas les mêmes générations), le code et le flux, mais pas de la même manière ou pour les mêmes raisons. Deux approches différentes, contradictoires parfois, complémentaires le plus souvent, sans jamais prétendre pouvoir à nous deux faire une cartographie des pratiques et des démarches artistiques sur le net (personne n’aura jamais le point de vue de Dieu sur la question et de toute façon est-ce bien désirable ?). Ces textes sont de niveaux de lecture différents, une sélection subjective mais informée. Nous avons donc procédé comme le fait tout bon programmeur/euse de logiciel libre, en répondant aux besoins que nous avions en commun tout en sachant quoi « ré-utiliser » [Pour quelques conseils sur l’attitude des programmeurs/euses de logiciels libres, voir un des textes les plus important du logiciel libre, La cathédrale et le bazar de Eric S. Raymond. Traduction en français et sur le net à http://www.epita.fr/-poiride-t/religion/cathedrale-bazar.html#toc2]. Partiale et partielle, notre méthode a été celle du (mé)tissage et du fiItrage : de textes, de références, de cuItures, par un travail collaboratif, un travail distribué, itératif, via le réseau et les réunions « en face à face », de connexions à l’image de notre sujet, à l’image de ce « mémex » rêvé par Vannevar Bush en 1945 (Comme nous pourrions le penser) qui est devenu aujourd’hui une réalité que nous appelons Internet.
La création artistique n’est pas une sphère isolée du reste de la société. Les pratiques artistiques de l’art de la communication et encore plus de l’art du net se sont développées principalement hors de l’institution culturelle classique, que ce soit par contrainte (absence de soutien), par choix ou tout simplement parce qu’elles n’en avaient plus besoin pour se diffuser ou rencontrer leurs publics. Dans les années 1980 et 1990, les grandes institutions spécialisées telles Ars Electronica, le ZKM, V2 ou encore 11CC ont eu — et continuent à avoir — un rôle clé dans la réalisation et la monstration d’installations dont les coûts de production et de présentation étaient élevés. Avec l’art en ligne, cette médiation institutionnelle n’était plus indispensable puisque le réseau était simultanément le matériau de création et l’espace de diffusion des Å“uvres que les artistes faisaient connaître… via le réseau. Progressivement de nouveaux « lieux », s’y sont constitués, communautés virtuelles fusionnant espaces de création et de débats.
Les institutions, spécialisées ou classiques, ont dû se repositionner. En 1995, Ars Electronica créé le Prix « Web Art », le Walker Art Center lance une action et une réflexion remarquables autour de la présentation et de la préservation de l’art du net [Une des premières listes de discussion sur le sujet était Shock of the View au Walker Art Center, les archives sont accessibles sur : http://www.walkerart.org/salons/shockoftheview/sv-discuss.html. Un très bon site contemporain sur la question est aussi Sarah Cook : http://www. newmedia.sunderland.ac.uk/crumb/phase3/index. html]. Aujourd’hui les grands centres dédiés proposent des aides à la création (studios, résidences d’artistes, etc.). Depuis 2000, on assiste à la multiplication des expositions, notamment dans les institutions plus traditionnelles [En 2000, Biennale du Whitney Museum à New York et de l’ICC à Tokyo. En 2001, c’est un véritable raz de marée. Mentionnons : « Bitstream » au Whitney, 010101 : « ART.IN. Technological. TIMES » au SFMoMA à San Francisco, « Art ln Motion (AIM) » co-organisée par l’École d’Art de l’université de Californie du Sud (Los Angeles) et le Santa Monica Museum of Art, puis le ZKM ouvrit « Net Condition »]. Les pratiques des artistes du réseau se pensent autrement en relation aux institutions et la manière dont elles interviennent dans le champ, ou devraient intervenir, reste un sujet de débats en cours : monstration, mais aussi conservation, production, commande ou achat des œuvres.
Les pratiques artistiques sur le net ont investi le champ culturel au sens le plus large du terme. Cette dimension s’est encore accentuée avec l’utilisation des nouveaux médias par les artistes car « Les nouveaux médias sont orientés vers le présent et non pas vers la tradition, leur attitude envers le temps est complètement opposée à celle de la culture bourgeoise, qui elle aspire à la possession » [Hans Magnus Enzensberger, « The Constituents of a Theory of the Media », in John Thornion Caldwell, Etectronic Media and Technoculture, Rutgers University Press. Publié originellement en 1970 dans The New Left Review]. La numérisation des données transforme radicalement ce que matière veut dire. Si la réalité est numérisée, donc codifiée, c’est sur la codification et les protocoles de transmission comme forme que se pose le regard des artistes dans un premier temps. Une fois codifiée, cette « réalité » est manipulable/reproduisible, automatisable/ contrôlable. La forme relève plus de la performance, dont le processus est toujours en cours, jamais parfait, toujours perfectible. Une ceuvre devient un « état » du travail, les versions sont potentiellement multiples, évolutives.
Par ailleurs, l’art nous dit quelque chose à propos de notre société. Celle-ci est quotidiennement modulée par des avancées des sciences et des technologies (la physique, la génétique, la biologie, la robotique, l’astrophysique, la vie artificielle, les télécommunications, les systèmes d’information numérique), mais aussi par les nouveaux systèmes marchands, tout aussi bien que les nouvelles formes de l’identité et de la citoyenneté. Les artistes interviennent donc dans ces champs-là . Ce qui est traditionnellement compris comme les lieux de la monstration de l’art devient alors un des lieux possibles de la diffusion de la création artistique, mais certainement plus le seul [Ceci est particulièrement vrai au travers des travaux tels que ceux de rtmark.com ou des « yesmen » http://yesmen.com, le site web est alors le lieux d’initiation et de documentation des actions. Le travail est en grande partie dans l’espace physique et éventuellement présenté dans une institution artistique.] En cela les artistes contemporains affirment une des voies ouvertes par leurs aînés.
De nouveaux « objets » ont vu le jour, des objets interstitiels, « entre » l’art et la programmation (art du code), « entre » la pratique artistique et l’activisme politique, « entre » l’art et le jeu, etc. Plus encore que des objets ce sont des démarches qui s’inscrivent dans l’histoire de l’art contemporain et de la culture [« L’image contemporaine se caractérise précisément par son pouvoir générateur; elle n’est plus trace (rétroactive), mais programme (actif). C’est d’ailleurs cette propriété de l’image numérique qui informe l’art contemporain avec plus de force : déjà une grande part de l’art d’avant-garde des années soixante, l’œuvre se donnait moins comme une réalité autonome que comme un programme à effectuer, un modèle à reproduire (par exemple les jeux inventés par Brecht et Filliou), une incitation à créer soi-même (Beuys) ou à agir (Franz Erhart Walter) ». Nicolas Bourriaud, L’Esthétique relationnelle, Les Presses du réel, 2001]. Ce n’est pas tant que l’art ici « communique », mais plutôt que les artistes utilisent, subvertissent nos habitudes, et questionnent les moyens de communication, les machines et les technologies de manière plus générale, ils et elles sont d’abord des artistes.
Une recontextualisation historique nous semble nécessaire afin de pouvoir affiner nos positions vis-à -vis de l’importance de la détermination technologique : tous les concepts et toutes les idées mises en œuvre dans ce champ n’ont pas été inventés avec l’apparition et le développement d’Internet, mais s’ancrent dans des pratiques et des théories antérieures. Les confronter au sein d’un même ouvrage permet d’en pointer les filiations et les ruptures, les innovations mais aussi de se dégager d’un trop grand déterminisme technologique, qui se trouve positionné de multiples façons tout au long du livre.
Dans le premier chapitre, nous nous sommes attachées à l’art du net tandis que le deuxième met l’accent sur les pratiques historiques et l’art de la communication. Le troisième porte sur les machines et les pratiques de l’art du code. Le dernier propose des critiques culturelles liées aux technologies contemporaines qui nous permettent de décoder le champ de manière plus large.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts)