Majida Khattari, Shirin Neshat
Conjuguer les cultures: vues d’artistes
Au cœur de l’actualité et des débats politiques, les rencontres entre mondes de l’Islam et Occident font l’objet de multiples analyses et commentaires. Mais les artistes proposent d’autres modes d’expression, complémentaires, qui mettent en jeu non pas la parole seule, mais le corps, au moyen du film, de la photographie et de la performance.
Samedi 2 février à 15h
Majida Khattari, Voilé-dévoilé
Majida Khattari présente son travail illustré par des vidéos et photographies et propose une installation inspirée d’un tableau exposé au Louvre, mettant en scène ses sculptures-turbans autour d’une réflexion sur la symbolique du vêtement.
L’actualité internationale est souvent le point de départ de l’œuvre de Majida Khattari, que ce soit lors de la polémique du voile islamique en 1995 ou au moment de l’éclatement de la guerre en Irak en 2003, qui a vu la création de défilés proposant un regard original sur le conflit. Outre des installations photographiques, l’artiste propose une série de «défilés-performances», soulignant le plus souvent la situation complexe des femmes dans l’islam contemporain. Avec ses «vêtements-sculptures» qui se font à la fois écrin et carcan, l’artiste décline ses «vêtements sur plusieurs modes, du tragique à la dérision, de l’interdit au désir».
Passionnée de peinture classique européenne, l’artiste propose une installation sur la scène de l’auditorium, aux couleurs et à la disposition captant l’œil du spectateur, inspirée d’une œuvre célèbre exposée au musée du Louvre. L’installation est constituée des créations de la plasticienne en partie déjà présentées dans des lieux éminents comme l’Institut du Monde Arabe, le Centre Pompidou, ou lors de la Nuit Blanche sur la place de la Concorde en octobre 2012.
Ainsi, Majida Khattari propose un nouveau regard à l’aide d’objets vestimentaires créés pour son dernier défilé, «Emama», alliant subtilement les matières, le tissu, le verre soufflé… et continue sa réflexion sur le sens et la symbolique du vêtement. La plasticienne utilise ici le turban, parure qui développe une forte suggestion symbolique, et porte le signe de la spiritualité, de la sagesse.
Au cours de cette rencontre mêlant installation, projections de vidéos et de photographies, l’artiste propose une reformulation plastique de l’iconographie classique.
Cette séance à l’auditorium du Louvre est une nouvelle occasion pour cette artiste engagée défendant la liberté au féminin, d’unir de façon spectaculaire et antagoniste l’art, la haute couture et les phénomènes religieux.
Dimanche 3 février à 15h
Shirin Neshat, Portraits de femmes
À travers ses nombreuses réalisations, la photographe et vidéaste iranienne propose l’image de femmes orientales refusant toute forme de victimisation, et s’emploie, au contraire, à révéler l’obstination qui se cache derrière le voile. Ses créations tracent frontières et limites qui unissent et séparent deux mondes.
Séance présentée par Marie Juliette Verga (rédactrice pour parisART) en présence de Louis Nègre, président du Projet pour l’Art Contemporain (PAC).
Au cours de cette rencontre, Shirin Neshat présente son œuvre grâce à des projections d’extraits de films et de photographies. Parmi les thèmes abordés, Shirin Neshat développe ses rapports esthétiques mais aussi sociopolitiques avec la culture islamique du monde iranien. Elle décrit l’évolution des formats dans son travail, débutant par des séries de photographies, se poursuivant par des installations vidéographiques, jusqu’au long métrage de fiction Women Without Men (Lion d’Argent à la Mostra de Venise en 2009).
Les interrogations de Shirin Neshat sur la question religieuse ont des implications directes sur son esthétique lorsqu’elle utilise la formule du diptyque et des écrans opposés dans ses installations vidéo. L’approche de l’artiste mélange les disciplines dans une quête de liberté. Elle se situe elle-même entre les arts visuels et le cinéma. Mais quand elle crée, Shirin Neshat pense d’abord à l’Iran.
Arrivée aux Etats-Unis en 1974 à l’âge de dix-sept ans, Shirin Neshat n’a pas connu la révolution iranienne, pourtant la représentation de ce pays revient dans son œuvre de manière récurrente. Parfois critiquée pour ne pas prendre position, l’artiste estime que les questions «Qui êtes-vous? D’où venez-vous?» ne sont pas les bonnes. Elle se situe dans cet entre deux mondes.
Le travail de Shirin Neshat joue sur les contrastes, les histoires parallèles, les diptyques. C’est en cela qu’elle admire le travail d’Abbas Kiarostami dont les films s’immergent dans la culture iranienne, sans pour autant se nourrir d’une curiosité malsaine pour l’Islam. Pour Shirin Neshat, le spectateur doit pouvoir appréhender à la fois la réalité et l’illusion.
L’artiste représente aussi dans ses œuvres le monde fermé des femmes assujetties au contrôle social. La calligraphie en farsi sur les photographies (séries Women of Allah, The Book of Kings) représente l’engagement émotionnel et intellectuel que les femmes ne se sont pas permis d’exprimer. C’est un mouvement féministe que Shirin Neshat cherche à montrer à travers ces portraits puissants. A la différence de celui de l’Ouest, il s’agit d’un féminisme où la femme ne cherche pas à être l’égal de l’homme tout en étant ni soumise ni victime.
Shirin Neshat entretient aussi une relation très étroite avec la musique dans son œuvre vidéographique, une musique qui remplace parfois les mots. Parmi les films présentés, la trilogie Turbulent/Rapture/Fervor (1998- 2000) évoquant la question du genre et les tabous sexuels, Passage (avec une musique de Phil Glass), ou encore Zarin, le premier extrait du long-métrage Women Without Men, fruit d’une collaboration avec le compositeur Ryuichi Sakamoto.