Pierre-Jean Amar, Denis Brihat
Conférence: La Straight photography et Denis Brihat
La «Straight Photography» est un courant qui a touché les Etats-Unis et l’Europe pratiquement au même moment, à partir des années 1930, en réaction au Pictorialisme. Edward Weston en a donné une définition très claire: «Une épreuve techniquement parfaite, tirée d’un cliché techniquement parfait, peut seule retenir à mes yeux une valeur intellectuelle ou une puissance émotionnelle.» Les sujets de prédilection des photographes comme Weston, le Groupe f/64 et Ansel Adams aux Etats-Unis ou Joseph Sudek, Emmanuel Sougez ou encore Manuel Alvarez-Bravo sont le plus souvent le paysage naturel, les objets, les micro-paysages, le nu et plus rarement le portrait. Cette conception de la photographie a toujours eu, après les années 1960, ses adeptes. Parmi eux on peut citer: Minor White, Paul Caponigro, Jean Dieuzaide ou Denis Brihat.
«En 2005, j’ai demandé à Denis Brihat s’il accepterait que j’organise une exposition de son travail et que nous fassions un livre ensemble (…). Il accepta et fut satisfait du résultat. Cette première expérience me donna envie d’organiser une nouvelle exposition, plus complète et plus riche.
Je voulais montrer comment, venu s’installer à Bonnieux en 1958 pour pratiquer «une autre photographie» après son voyage d’un an en Inde et après avoir obtenu le Prix Niepce pour ce travail, il allait finalement mettre en place assez vite les fondements de son œuvre. Dans ces dix années de solitude sur le plateau des Claparèdes, soutenu par quelques amis photographes (Jean-Pierre Sudre, Jean Dieuzaide ou Robert Doisneau) et des figures marquantes de Bonnieux (Jeannette, César, Marcel), on voit apparaître les premiers «tableaux photographiques» en noir et blanc, souvent en grand format et destinés au mur.
Ses sujets de prédilection, trouvés dans la nature ou dans son environnement proche, ne sont pas des monstruosités de beauté mais au contraire de petites choses simples qu’on oublie souvent de regarder. Cette photographie, éminemment poétique, les glorifie, leur rend justice et incite les spectateurs à ouvrir les yeux pour découvrir la beauté toute proche.
Denis Brihat construit ses images pour que « l’ordre naturel » soit révélé. Il défend ainsi une des fonctions primordiales de l’art qui est de donner du plaisir aux autres. On perçoit partout dans son œuvre ce besoin d’équilibre, de rejet du superflu ou de l’emphase: dans ses paysages, ses micro-paysages (Le Nez dans l’herbe), dans ces morceaux de réalité matérielle que sont les photographies intitulées Vitre écrasée par une fesse, Craquelures dans une toile de Prassinos, ou encore dans ses objets de nature (oignons, salades, poivrons, folles avoines ou coquelicots) sortis de leur contexte et posés sur un fond uniforme comme des objets d’art.
La science du cadrage, l’exactitude de la mise en page, la rigueur de l’exécution révèlent l’architecture du grand œuvre de la nature. Denis Brihat trouve l’ordre dans le désordre apparent du monde naturel. En découvrant dans les années 1950 les œuvres d’Edward Weston et d’Emmanuel Sougez, il eut une révélation. Il ne renie d’ailleurs pas cette filiation. Comme il le dit à propos de Weston : « Combien de fois ai-je enragé en constatant que j’avais traité, sans le vouloir, le même sujet que lui, de la même manière ou presque, trente ans après et pourquoi pas? »
Ce qui est passionnant dans le travail de Denis Brihat, c’est d’y découvrir une constante du regard. La structure d’un grand nombre de ses images repose sur un cœur central d’où irradie la composition. On trouve cette caractéristique aussi bien dans les micro-paysages des Claparèdes des années 1960, que dans les herbes de 1977, dans les coupes de kiwis ou les coquelicots et même dans certains paysages d’oliviers. Ces compositions rayonnantes sont en résonance avec cette curieuse spirale universelle que la nature a créée, forme présente dans la succession des loges d’un nautile, les graines du tournesol, la spirale des fleurons des boutons de marguerite ou même dans l’implantation des cheveux.
Et quelle fidélité à ses sujets! Voilà près de cinquante ans que les oignons l’occupent et le préoccupent, trente ans que les coquelicots le fascinent et pendant dix ans il est allé aux « rendez-vous » de ses cerisiers en fleurs dans le petit vallon du bas de Bonnieux, au moment où le soleil les éclaire à contre-jour. L’histoire se construit: images noir et blanc en format unique cirées pour les protéger; images colorées grâce aux techniques de poétisation que sont les virages et le «grignotage»; images plus récentes, avec des grignotages partiels redéveloppés en noir et blanc chaud qui donnent aux tirages une profondeur et une matière gravée qu’une simple épreuve argentique ne peut apporter.
L’amour du travail bien fait, le sens du beau, l’envie de transmettre et le désir de donner du bonheur à ceux qui regardent ses images, voilà quelques-unes des qualités essentielles de Denis Brihat. Elles émanent à l’évidence de ces « fragments d’infini » qui nous comblent de plaisir» (Pierre-Jean Amar, Co-commissaire de l’exposition).
Pierre-Jean Amar, photographe, historien et enseignant de la photographie à l’Université de Provence, a poursuivi un travail de créateur et d’écrivain puisqu’il a publié à ce jour une dizaine d’ouvrages. Commissaire d’une exposition annuelle au Pavillon de Vendôme à Aix-en-Provence, il a notamment exposé Denis Brihat en 2005 et est à l’initiative de son livre Le Jardin du monde.
Il a commencé son travail de réalisateur par deux films sur Willy Ronis et en a réalisé un sur Denis Brihat, En photographiant je suis devenu photographe (2011).
Conférence
Lundi 5 novembre 2012 Ã 18h.
Suivie d’un débat avec Denis Brihat et le public.