Quatre « peintures » de format important et identique (142 x 112 cm) accrochées sur le mur d’entrée nous accompagnent vers la salle principale. En s’approchant, on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de photographies (des impressions numériques sur toile) et que la composition « picturale » n’est autre qu’une vue en très gros plan d’une palette de peintre. Tout l’espace du support n’est pas occupé, ce qui laisse apparaître une bordure blanche : la toile vierge. Ainsi, sont photographiées quatre palettes avec différents mélanges de peinture.
Voici donc la peinture photographiée. Ses couleurs, ses matières, ses lumières et ses traces de gestes exaltées par la photographie.
Le grand format des palettes fait-il écho au format des toiles de Pollock ? Et, si les peintures de Pollock cessent d’être des tableaux, des palettes à l’échelle murale en deviennent-elles en passant de la position horizontale fonctionnelle à la position verticale d’exposition ? Souvenir d’une œuvre de Jim Dine intitulée Pleasure Palette (1969) : une palette véritable est collée sur une toile et dégouline de peinture affirmant ainsi le basculement.
Une palette photographiée devient-elle une sorte de ready-made, dans un passage tout duchampien de l’objet d’usage à l’objet d’art — voire une peinture rétinienne débarrassée de l’odeur de térébenthine.
La photographie plaque la palette sur le support. Aucune ombre ne marque son volume, la lumière étant réservée à la pâte picturale. S’agit-il de peindre d’une autre façon, de vérifier si la peinture sans la réalité matérielle est encore possible ?
Manuel Ocampo s’adonne d’ailleurs à une véritable expérimentation picturale en déclinant sur neuf toiles de taille identique des peintures de factures différentes. La peinture est associée à chaque fois à l’écriture peinte. Est-on pour autant dans une oeuvre « compréhensible seulement de quelques initiés », comme le suggère le titre de l’exposition?
On peut en effet s’interroger sur ces phrases énigmatiques qui semblent sorties d’écrits théoriques : « Une peinture qui fait une disposition vierge ne laisse rien à expliquer. Un savoir social institutionnellement purifié emballé selon les critères du design ». Incompréhensibles alors ? Sauf à les lier aux styles déclinés sur les toiles — abstraction gestuelle ou géométrique, figuration, bande dessinée, bad painting, réalisme, etc. — à travers des frottis de couleurs, des aplats et des transparence. Ces titres sont d’ailleurs inscrits sur chaque toile. Les graphies changent de style comme la peinture à laquelle on les associe. Les mots et les peintures retrouvent un espace commun : la verticalité, déjà pointée avec les palettes. Mouvements ou styles de peinture…
Quel que soit le genre convoqué, l’écriture recouvre, articule, structure et commente. L’écriture est peinture. Ici, elle se détache d’une tache verte et s’écoule en vert fluo, presque illisible. Là , un monochrome rose encadré de marron laisse apparaître en surimpression : « Comprehensible Only To A Few Initiates ». L’art minimal ou conceptuel serait-il ici convoqué ? Sur une toile vierge, une écriture d’imprimerie en zig zag aux lettres multicolores laisse lire : « Ha, ha qu’est-ce que ça représente ? ha, ha que représentez-vous ? »
Est-ce alors au regardeur de faire le tableau, selon la formule célèbre de Duchamp ? Les œuvres dépendant des conditions de leur production — un matériau (la peinture), un métier —, mais aussi des conditions de leur réception — un auteur, un public et une institution. Ce qui fait art ici, c’est à la fois la peinture et la phrase à propos de l’art : « Les paradigmes qui suivent leurs adeptes dans la tombe ». Les œuvres paradigmatiques sont celles qui font une hypothèse quant à la nature de l’art, et qui la vérifient.
L’impossibilité d’exprimer est son expression est un titre énigmatique. Concerne-t-il la pratique de Manuel Ocampo ? Procède-t-il à une dérision feutrée de la théorisation ? Malgré la distance photographique, les palettes exposées telles quelles invitent-elles à savourer la peinture comme un matériau à part entière, débarrassé de tout discours parasite ?
Manuel Ocampo :
— Untitled, 2002. Impression numérique sur toile. 142 x 112 cm.
— Untitled, 2002. Impression numérique sur toile. 142 x 112 cm.
— A Painting Making a Blanck Statement Leaving Nothing To Be Explained, 2002. Acrylique sur toile. 192.5 x 130 cm.
— Untitled, 2002. Impression numérique sur toile. 142 x 112 cm.
— Untitled, 2002. Impression numérique sur toile. 142 x 112 cm.
— Meaning Emptied of Signs, 2002. Acrylique sur toile. 152,5 x 122 cm.
— The Failure to Express Is Its Expression, 2002. Huile et acrylique sur toile. 15.5 x 122 cm.
— The Highest Product of Distraught Bourgeois Self Consciousness, 2002. Acrylique sur toile. 152,5 x 122 cm.
— Paradigms Following Their Adherents to the Grave, 2002. Acrylique sur toile. 52,5 x 122 cm.
— Ha Ha What Does This Represent ? Ha Ha What Do You Represent ? 2002. Acrylique sur toile. 52,5 x 122 cm.
— An All Out Attempt At Transcendence, 2002. Huile sur mousseline sur toile. 52,5 x 122 cm.
— Institutionally Purified Social Knowledge Packaged According To Design, 2002. Huile et acrylique sur toile. 52,5 x 122 cm.
— Comprehensible Only To A Few Initiates, 2002. Acrylique sur toile. 152,5 x 122 cm.
— A Work Not Subject To Judgement, 2002. Huile et acrylique sur lin. 51 x 40,5 cm.
— The Explored Niche In The Monadical And Contemplative Subjectivity, 2002. Huile sur lin. 51 x 40,5 cm.
— Dicky Doofy, 2002. Huile sur lin. 51 x 40,5 cm.
— The Work itself, 2002. Huile sur lin. 51 x 40,5 cm.
— An Object Insulating Itself In A Closed System Of Approved Texts And Models, 2002. Huile et acrylique sur lin. 51 x 40,5 cm.
— Criticism Will Have No Effect, 2002. Acrylique sur lin. 51 x 40,5 cm.