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Commotion

PMaxence Alcalde
@12 Jan 2008

Lettres de non-motivation : des petites annonces découpées dans la presse spécialisée sont chacune présentées avec la lettre que l’artiste adresse au recruteur, puis la réponse de ce dernier. Deux mondes s’affrontent. Non pas un militantisme virulent cuvée années 1980, mais un hacktivisme définitivement actuel.

Cela fait déjà quatre années que Julien Prévieux épluche les petites annonces d’emploi sans jamais parvenir à rencontrer le moindre DRH. Il faut dire que, d’un côté comme de l’autre, personne n’y met du sien.
D’une part, les entreprises — toujours plus friandes de stratagèmes d’humiliation dans leurs campagnes de recrutement — font publier des petites annonces proposant grosso modo au postulant de se faire exploiter pour un salaire de misère.
D’autre part, l’artiste — enfant illégitime qu’aurait eu Michael Moore avec l’Entarteur — écrit inlassablement des lettres de non-motivation pour expliquer aux entreprises les raisons pour lesquelles il refuse leurs offres d’emploi.

Le processus d’exposition qu’adopte Julien Prévieux pour Lettres de non-motivation est simplissime, faisant même formellement penser aux installations d’ »Art & language ». L’artiste présente la petite annonce découpée dans la presse spécialisée, la lettre qu’il adresse au recruteur, puis la réponse de ce dernier.
Deux mondes s’affrontent alors, celui de l’artiste redresseur de torts, pourvoyeur de missives sous forme de véritables petits bijoux stylistiques, et celui des entreprises se bornant à fournir toujours le même type de réponse froidement administrative. Tout cela serait assez rigolo si c’était une fiction ou un gag monté de toute pièce par l’artiste. Mais non, c’est la vraie vie à laquelle se frotte désormais toute une génération : finie l’Ile aux enfants et bienvenue dans un monde ultralibéral.

Jusque là, les enfants avaient été épargnés. Par un curieux miracle, cette manne de petites mains agiles n’est pas soumise aux lois de la productivité et du salariat. Julien Prévieux remédie à cela avec La Soufrière en faisant fabriquer par des enfants des petites cocottes en papier avec des messages à l’intérieur.
Le monticule de cocottes ainsi confectionnées prend place dans un angle de la galerie. Les visiteurs peuvent s’en servir ou les emporter, à la manière des tas de bonbons que réalisa Félix Gonzalez-Torres au début des années quatre-vingt-dix. Même si les deux types d’œuvres ne parlent pas de la même chose, l’une évoquant la situation sociale actuelle et l’autre les ravages du sida, il procèdent de la même prise de conscience par l’implication directe du spectateur.
Par la nature des messages que ces cocottes contiennent (répliques d’instructions diffusées par la CIA au Nicaragua afin de déstabiliser le gouvernement sandiniste), le jeu des salières qui fait les joies des cours de récré se transforme en travail au service des adultes.
Faut-il voir ici la double critique d’un état qui prétend s’élever à la fois au rang de gendarme du monde et qui refuse dans le même temps de ratifier la Convention des Droits de l’Enfant, texte qui interdit notamment le travail des enfants ?

Les œuvres de Julien Prévieux fonctionnent par prélèvement du réel, non pas formellement, comme peut le faire la photographie documentaire, mais en isolant des symptômes pour mieux les exposer.
C’est aussi ce qui se passe avec Post-post-production où l’artiste s’acharne à saboter un des derniers James Bond au moyen d’effets spéciaux foireux. C’est aussi ce qu’il met en œuvre avec Glissement en exposant une glissière de sécurité — signe d’urbanisme mondialement partagé — qu’il pervertit en la rendant circulaire et la transforme ainsi en une sorte d’œuvre minimaliste dans le contexte de la galerie.
Finalement, ce qui se joue dans ces œuvres n’est pas un militantisme virulent cuvée années 1980, mais un hacktivisme définitivement actuel.

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