A un an d’intervalle la galerie Polaris propose une nouvelle exposition personnelle d’Eric Emo. Dans les grands tirages au sel d’argent, la rencontre entre la photographie et la sculpture s’opère.
D’aspect blanc, effacés, les bustes photographiés présentent un aspect spectral. Comme un travail sur le voile, le rendu des matières et des couleurs est fantomatique. L’image apparaît et disparait à la fois, elle remonte à la surface argentique ou au contraire plonge dans la composition. Comme des masques surgissant de l’ombre, les torses d’Emo sont vaporeux. Comme dans une étreinte entre Zeus — métamorphosé en nuage — et Io, les poitrines de pierre, les abdominaux de marbre sortent d’une gaze d’éther.
L’univers du peintre est aérien et liquide à la fois. Le vaporeux se mêle à une pâte aqueuse. Entre la perte et le gain, entre la photographie et la sculpture, entre la peinture et le dessin, les clichés ne tranchent jamais, une part d’indécision flotte toujours à la surface des oeuvres.
Cette indécision, ce vaporeux, ce sfumato se retrouve dans les cadrages. Il y a de l’incomplétude dans cette façon de couper les corps, de les montrer sans visage, sans tête. C’est ici que cette nouvelle série se démarque du corpus précédent. La dernière présentation exposait surtout le haut des statues. Ici les troncs sont là pour le tout. Ils représentent l’ensemble. L’incomplétude est ici comprise comme une totalité.
Entre l’indice et le tout, les tirages photographiques oscillent entre le masculin et le féminin. Les bustes féminins ne sont pas très éloignés de ceux des hommes. L’effet estompé, effacé de toutes les compositions, nivelle le genre des oeuvres. Les concepts de féminité et de masculinité s’effacent au profit d’un autre sexe, d’un sexe froid et cotoneux à la fois. Il ne s’agit pas d’un troisième sexe, ni d’une hybridation, encore moins d’un être androgyne, mais d’un corps asexué, d’un corps argentique, d’un corps photographique. Le corps est trié, lavé, passé, il n’est qu’une ombre, qu’un voile, qu’une sorte de voie lactée.
L’accumulation de tous ces entre-deux, de tous ces paradoxes interroge le spectateur sur la représentation de l’image, et sur le rôle de la photographie. A la croisée des arts, les photographies de Eric Emo mettent en avant des questions passées et présentes. Avec un simple boitier, mais en travaillant l’image à tous les stades de sa fabrication, il parvient à complexifier la photographie traditionnelle pour l’amener vers des interrogations proprement numériques et virtuelles. C’est à travers le corps qu’il parvient à lier toutes ces questions.
Eric Emo :
— Huit photos noir et blanc, 2001. 100 x 70 cm.