Eric Troncy le précise lorsqu’il parle du travail d’Ida Tursic et Wilfried Mille: il ne sert à rien de chercher à identifier le pinceau de l’un et celui de l’autre. D’une part parce que la combinaison est parfaite. D’autre part, parce que le véritable intérêt de leur peinture réside justement dans la disparition du sujet et la mise en retrait de leur propre signature.
Ida Tursic et Wilfried Mille reproduisent des modèles récupérés sur les multiples banques de données de l’image contemporaine. La télévision, le cinéma, la photographie, Internet forment une «matériauthèque» inépuisable pour leur captation et le réceptacle idéal pour leurs réarrangements.
Car outre les transformations d’échelle, l’image n’est jamais livrée chez eux telle qu’elle peut apparaître à la source. Si le sujet est utilisé sur la toile comme un signe à l’identité forte, à ce titre totalement reconnaissable et respecté, l’image de son côté subit la loi du libre arbitre des deux auteurs.
Ici, des motifs graphiques viennent saborder la surface, ailleurs c’est un voile qui recouvre les personnages. Plus loin, c’est une couleur incandescente qui submerge l’ensemble du tableau. De quoi briser la suprême autorité de l’image. De quoi rappeler également, par le biais de ce rideau entre l’Å“il et le sujet, que sa reproduction frénétique use et salit.
Cette distance imposée permet aussi au duo d’écarter tout sentimentalisme envers le sujet. Sans pour autant rompre le contact. En choisissant de représenter des séquences à l’impact immédiat (scènes de porno-chic, vue sur Manhattan, maison emportée par les flammes), Ida Tursic et Wilfried Mille placent l’Å“il du spectateur en proximité presque illicite avec le sujet. Il y a quelque chose à voir mais ce quelque chose est obstrué par les aléas du médium peinture.
A l’instar d’un Blanc d’Espagne sur les vitrines des locaux en chantier, le lavis épais et gluant qui recouvre certaines Å“uvres oblige le tableau à occuper ce rôle indéterminé d’un objet qui a eu une existence et qui s’apprête à muter dans une autre. Si chaque élément affleure à la surface du tableau, il n’empêche que le sujet et avec lui, la narration qui l’accompagne, se perdent dans ces présents qui se superposent.
A la vérité, c’est bien la peinture qui a le dernier mot. Ida Tursic et Wilfried Mille s’attachent davantage au médium qu’à toutes autres contingences de l’Å“uvre. Le sujet n’est qu’un accessoire, une porte d’entrée dans l’image. Et l’auteur, une signature parmi toutes celles qui ont pu produire, recopier et détourner l’image. Leur peinture ne cherche pas à lutter contre elle. Au contraire, il s’agit plutôt de la «retrousser» pour voir depuis le décor ses mécanismes d’addiction. Et s’attarder un peu, retenir le fugitif, contrecarrer la fiction qui circule déjà à l’intérieur.
Il n’est pas anodin si la référence à Zabriskie Point, le film d’Antonioni, est explicite dans le titre de l’exposition. Come in Number 51 est le nom de l’une des séquences instrumentales des Pink Floyd utilisé pour la B.O du film. La peinture de Ida Tursic et Wilfried Mille se situe au même endroit: en survol de la fiction et prête subrepticement à emporter l’attention vers d’autres voies.
— Ida Tursic et Wilfried Mille, LNP, 2010. Huile sur toile. 200 x 300 x 5 cm
— Ida Tursic et Wilfried Mille, Stormy, 2010. Huile et argent sur toile. 200 x 150 x 5 cm
— Ida Tursic et Wilfried Mille, Laque d’Orient – Sowlinach. Huile sur toile. 200 x 300 cm
— Ida Tursic et Wilfried Mille, Fog, 2010. Huile et pigments d’argent sur toile. 200 x 300 x 5 cm
— Ida Tursic et Wilfried Mille, Silver Girl, 2010. Huile et pigments d’argent sur toile. 200 x 300 x 5 cm
— Ida Tursic et Wilfried Mille, Laque d’Orient – Zabriskie Point, 2010. Huile sur toile. 200 x 300 x 5 cm