Sur le papier photographique de chacune des œuvres, un radiateur à gaz, énorme de fonte. Les deux motifs forment des fonds plans, frontaux, dont seules les grilles se détachent et donnent à l’image quelque profondeur. Ce qui intéresse le photographe, c’est justement comment, dans l’entrecroisement des barreaux, la lumière devient matière; ou comment la matière devient lumière, c’est-à -dire immatérielle. L’âme et le corps, le spirituel et le sensible — l’abstrait et le figuratif —, tout ce petit technique de distinctions lassées s’efface dans une image aussi simple et tranquille que celle d’un objet domestique en négatif.
Le puissant éclairage qui préside à la prise de vue permet à Gabor Ösz d’obtenir d’infinies nuances de gradation entre l’obscur et le clair; l’une des deux œuvres offre ainsi une subtile palette de bleus fondus. Les couleurs, en effet, apparaissent en estompe, en repasse, comme des coulées de peinture — de pigments — parfaitement maîtrisées.
Va-et-vient encore entre la matière et la lumière, confusion de nouveau entre la peinture et la photographie. Rien de pictorialiste pour autant, mais une image neuve qui absout les limites entre le médium supposément mécanique et prétendument docile de l’appareil photographique, et l’indépassable liberté du pinceau; entre la machine qui poursuit l’œil, et l’outil qui prolonge la main.
Par les formes autant que par la complexe mise en scène qui précède le cliché, on pense aux œuvres de suie éphémère de Claudio Parmiggiani. Même inclination à fixer le volatile, semblable attrait pour le flou, fascination partagée pour le vide sensible. Mais là où Parmiggiani suscite les ombres humaines et livresques, Gabor Ösz préfère l’architecture délaissée, le bâti sans finition, le mur nu qui ne s’autorise de signe humain que le plus pauvre des agréments : un radiateur. Toutefois, ce radiateur brut irradie encore un peu de chaleur humaine, une lumière puissante et délicate, celle, mystérieuse, des présences impalpables.
Â
Gábor Ösz
— From Pigment to Light, 2008-2009. Vidéo – 4’53’’; HD 1080 x 1980. Couleur et noir et blanc
— Colors of Black and White, 2008. Diptyque: 62 x 70.4 cm. Impression couleur, tirage lambda. Impression noir et blanc, tirage lambda.
— Colors of Black and White, 2008. Diptyque: 185 x 205 cm (chaque). Camera obscura noir et blanc, papier plastique Ilford RC. Temps d’exposition: 9 heures. Camera obscura couleur, papier cibachrome. Temps d’exposition: 7 jours