Jean-Yves, Patrick et Corinne (2017) est un trio chorégraphique. Mais pour cinq danseurs. Car c’est un peu l’une des pierres angulaires du Collectif ÈS (Sidonie Duret, Jeremy Martinez et Emilie Szikora) : créer une tension entre l’intime et l’impersonnel ; la singularité et l’interchangeabilité. Avec Jean-Yves, Patrick et Corinne, le Collectif ÈS signe ainsi une création puisant dans le triple. À l’instar du titre, il y a l’ambigüité de savoir si le registre relève de la plus grande connivence ou d’une distance uniformisante. Jean-Yves, Patrick, Corinne… Trois prénoms portés par des centaines de milliers de personnes, mais désignant peut-être des êtres si proches que leur nom peut être oblitéré. Parce que même sans lui : impossible de ne pas les reconnaître. Certains grands artistes ont ce privilège, tel Leonardo. Articulant ainsi trois prénoms et trois concepts (original, nouveau, authentique), la pièce mêle danse contemporaine et aérobic.
Jean-Yves, Patrick et Corinne du Collectif ÈS : un trio chorégraphique à cinq
D’où viennent ces trois concepts ? D’une citation mentionnée dans la pièce. « Si tu veux être un chorégraphe, ton entourage, le milieu dit alors, fait quelque chose d’original, de nouveau, d’authentique. » Ces mots sont de Jérôme. S’agit-il de l’un des danseurs ? La pièce est interprétée par Adriano Coletta, Sidonie Duret, Jeremy Martinez, Alexander Standard et Emilie Szikora. Et comment répondre à cette triple contrainte artistique, avec son injonction de liberté ? Le Collectif ÈS opte pour l’aérobic. Avec sa danse sur-enthousiaste, ses gestes millimétrés, chronométrés, et sa vitalité de groupe. Totalement impersonnelle, cette danse est aussi celle de l’ultra-personnel. Pratiquée par imitation en groupe sur la plage ou seul devant sa télévision, l’aérobic reflète toute une époque. Et à travers son appropriation mêlée de danse contemporaine, le Collectif ÈS en dévoile à la fois la bizarrerie, mais aussi son incroyable vitalité, sa virtuosité.
De danse contemporaine et d’aérobic : quand l’originalité se niche dans l’uniforme
Le Jérôme de la citation, c’est le chorégraphe Jérôme Bel dans Le Dernier spectacle (1998). Et les trois prénoms du titre Jean-Yves, Patrick et Corinne portent chacun le même nom de famille que l’un des chorégraphes. Leurs parents, peut-être. Mais ce n’est pas le point décisif. Dans cette identité gommée, ou rapportée à sa plus simple expression, celle qui oblige à prêter attention pour comprendre les rapports, se joue l’une des articulations de la pièce. Celle du plagiat. De l’apprentissage par imitation. Ou simplement du phénomène de mimétisme avec sa part d’erreur et de variations, qui structure tout collectif. Sur une scène dépouillée, en tenues d’aérobic flamboyantes, les cinq interprètes enchaînent ainsi séquences énergiques et trios étonnants. Entre originalité de l’improbable et liberté de ne pas être en deçà de la perfection. Un jeu sur les paradoxes, qui maintient une tension rafraîchissante.
À retrouver pendant le festival On (y) danse aussi l’été ! aux Hivernales – CDCN d’Avignon, en parallèle du Festival d’Avignon.