Représenter le sexe aujourd’hui n’est pas une mince affaire. Le sexe comme l’acte transgressif décrit par Bataille est-il encore vraiment d’actualité? A trop le dresser en étendard de la provocation, de chahuteur des bonnes mœurs et de l’éthique bourgeoise, ne s’est-il pas vu banaliser par une société qui a su le rendre indispensable et marchand?
Que suscite la vue d’une représentation d’un membre en érection, d’un gros plan de sexe de femme ou d’une scène de pénétration? Et plus sournoisement peut-on encore regarder ces images sans rentrer dans une logique consumériste capable d’annihiler tout désir?
Frédéric Delangle s’est vraisemblablement posé ces questions. Il ne s’agit évidemment pas de moralité, mais bien d’interroger les représentations du monde contemporain. Au travers des photographies exposées à la galerie Philippe Chaume, Frédéric Delangle a cherché à représenter l’acte sexuel en contournant la pornographie, la crudité et les détails explicites. Il n’essaie pas de provoquer le spectateur mais de lui donner à voir la dimension spirituelle et fusionnelle de l’acte amoureux.
La démarche de Frédéric Delangle est tout sauf prude: il photographie des couples en plein émoi, s’adonnant à de charnels ébats. Il se confronte pendant la séance de prise de vue à ses deux corps qui s’étreignent, ce qui nécessite un dialogue et une mise en confiance permanente entre le photographe et ses modèles. Comme le versant opposé de Nan Goldin ou Larry Clark, Frédéric Delangle pénètre au plus profond de l’intimité humaine, dans une zone qui n’est que rarement offerte aux regards extérieurs.
Les images sont en grand format, réalisées avec une chambre 4 x 5 inchs. Sur un fond noir, une danse de chair se dessine. Les temps de pose assez longs ont effacé les détails, les positions et les gestes. Certaines parties du corps émergent cependant : une main nette, des doigts, on devine une épaule, un bras, des jambes. Aucun sexe, aucun visage. Aux ressorts de l’intimité sexuelle, Frédéric Delangle préfère l’évanescence gazeuse de corps en mouvements.
Il aborde donc la sexualité de manière originale en prenant le parti de ne rien montrer, de tout flouter, comme pour laisser aller le spectateur à son imaginaire. L’aspect fantomatique des corps imposé par un long temps de pose était déjà présent dans la série réalisée à Ahmedabad, où, la nuit, dans les rues désertes apparaissaient des «spectres» à peine enregistrés par l’appareil.
Comme certains peintres de la Renaissance italienne, Frédéric Delangle dissimule pour mieux susciter l’envie, pour reconstituer l’alchimie née de la rencontre amoureuse. D’une certaine manière, il cherche à concevoir une œuvre productrice de fantasmes.
Frédéric Delangle
— Coït, 2006. 8 Photographies argentiques couleur contrecollées sur aluminium, 80 x 100 cm chacune.