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Claudia Triozzi

Céline Piettre. Dans vos dernières pièces, vous utilisez la voix en parallèle d’un travail sur le corps via la scénographie et l’installation…
Claudia Triozzi. Oui, pour moi la voix est un matériau à part entière, une très belle matière, que l’on peut sculpter, comme un volume. J’aime aussi parler de dessins sonores. Je me rapproche en cela des compositeurs italiens Luigi Nono et Scelsi, qui s’intéressent aux propriétés même du son, à ses qualités matérielles. Mais mon travail performatif sur la voix me permet surtout d’être dans un rapport de non-représentation, à la différence de la danse. Quand je chante, je perds mes repères, j’oublie mon image pour me centrer sur mes sensations physiques. J’échappe ainsi à la question très limitante des considérations esthétiques.

Votre pratique vocale est très spécifique. Elle associe des passages mélodiques, une technique de chant lyrique et une gamme de sons et de bruits, modulés selon des hauteurs et des timbres différents. Pourquoi une telle diversité ?
Claudia Triozzi. Sur scène, je suis dans plusieurs modes de travail de voix. J’oscille entre des extrêmes, des polarités opposées. Le fait d’expérimenter ces diverses qualités de voix : lyriques, parlées, théâtrales, de l’ordre de la poésie phonétique ou de l’expérience bruitiste — en référence notamment aux futuristes des années 20 — me permet d’atteindre des formes d’expressivité changeantes. Pour moi, c’est une façon d’incarner des états pour finalement échapper à un seul mode de représentation, à un seul mode d’être sur scène. Un peu comme dans la pièce Up to Date, avec cette continuité entre des matériaux opaques et d’autres surexposés, qui dissimulent dans le décor la nudité du corps.

Le texte est un matériau avec lequel vous travaillez…
Claudia Triozzi. Oui, mes textes s’inspirent du parler ordinaire, empruntent leur syntaxe et leur vocabulaire aux différentes langues: français, anglais, italiens etc. Je récite des phrases anodines en jouant sur la prononciation des mots, les accentuations, les répétitions, les rythmes, la phonétique.

En juin, lors de votre performance à la Fondation Cartier, Fais une halte chez Antonella, vous avez opté pour une attitude corporelle très relâchée et une expressivité à la limite de l’outrance.
Claudia Triozzi. Quand je performe à la Fondation Cartier, je me tors sur moi-même, je grimace, je suis dans une posture totalement inadéquate pour travailler la voix : c’est de la contre-technique pure. J’essaie de développer cette attitude dans mes performances mais aussi dans le cadre de mon enseignement à l’Ecole supérieure d’arts de Rueil Malmaison, où je tente de transmettre une expérience de la voix sans aborder, dans un premier temps, les questions de techniques vocales. L’idée est de se sensibiliser à la voix des autres, par l’écoute, et de se familiariser avec sa propre voix, la « faire sortir » de soi, par le cri ou tout autre moyen qui contourne les notions de virtuosité, de puissance vocale et d’apprentissage en tant que tel.

Une voix plus spontanée ?

Claudia Triozzi. Oui, exactement le contraire d’une voix lyrique, qui est maîtrisée, « dressée » en quelque sorte, alors que je considère la voix comme une expression libre. Au final,  je recherche une voix qui n’est pas sur la note, dans le sens d’un dérapage, d’un écart. Je souhaite rendre l’aspect de la difficulté, d’en faire une matière à voir. La difficulté d’appréhender une chose, de commencer une chose… C’est peut-être une utopie, mais je pense qu’il faut se confronter à un temps réel et faire avec ce que l’on ressent, c’est important. Tout devient très technique aujourd’hui, trop peut-être.
Mais mon travail, ce n’est pas que la voix. J’aime m’inscrire aussi dans une dramaturgie de ce personnage qui chante, qui émet de la voix mais ne fait pas que ça. Un personnage qui existe aussi, dans des registres d’être très différents.

Á la Fondation Cartier, vous étiez accompagnée par deux compositeurs, Haco et Michel Guillet. Quelle est la nature de vos relations sur scène ?
Claudia Triozzi. Nous travaillons beaucoup à partir d’improvisions. Nous définissons ensemble un environnement sonore, une structure préalable composée de différents matériaux sur laquelle vient s’inscrire ma voix. Notre collaboration est un mélange d’écriture, d’intuition et de hasard. Les tonalités et les hauteurs ne sont pas définies à l’avance. Non plus la temporalité, soumise à une dilatation subjective.

Est-ce que vos futures pièces risquent de ressembler à cette performance où vous semblez avoir abandonné toute mise en scène, décor et objets ?
Claudia Triozzi. Fais une halte chez Antonella a été créée spécifiquement pour le Marché de la poésie, en 2006, dans la perspective de devenir une pièce uniquement vocale et sonore. Elle fait acte d’exception dans mon travail, car je suis toujours très intéressée par la dimension visuelle des représentations. Je ne veux pas me priver de ces scénographies, que l’on perçoit aujourd’hui comme lourdes, à tort selon moi. Je ne suis pas encore complètement passée du côté de la musique.

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