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Claude Gazier fait son cinéma

Claude Gazier utilise un support de granulats de marbre qu’il badigeonne d’un fond à la chaux sur lequel il projette une image dont il détermine les contours avant de la couvrir de cire colorée.

Ce support grenu, s’il offre une évidente analogie avec l’image cinématographique, empêcherait un rendu trop net, des expressions trop figées. Il est le moyen utilisé par l’artiste pour se rejouer les scènes torrides qui ont marqué son imaginaire. En donnant des couleurs à ses bonheurs cinématographiques, il retrouve l’envoûtement des contrastes des films en noir et blanc et convie tous les acteurs de la grande épopée mythologique hollywoodienne.

Reconnaissant en Edward Hopper le passeur qui l’a aidé à franchir le pas de la peinture au cinéma, il inaugure sa geste cinématographique en travaillant sur Fenêtre sur cour, un film qui n’est pas sans évoquer The Nighthawks de Hopper. Laissant de côté l’approche narrative Claude Gazier se concentre essentiellement sur l’empreinte émotionnelle que lui ont laissé les films.

On distingue plusieurs périodes dans sa production: les «Séries noires» reconnaissables à leur lumière nocturne, les «Monstres sacrés» ou «Écrans du désir», les «Liaisons fatales» et leurs couples mythiques et les «Empreintes digitales», variations sur le langage des mains….

Nostalgique déraisonnable, Claude Gazier célèbre un temps où quelle que fut l’orientation sexuelle des intéressés, les hommes — shérifs, soldats, cow-boys, flics ou privés — se faisaient les chantres de la virilité, portant beau dans des costumes, des smokings, des uniformes qui allongent leurs silhouettes, le chef couvert d’un Borsalino, ou les deux à la fois. Seul le beau Marlon risque le «Marcel».

Quant aux femmes, elles conjuguaient leur production d’œstrogènes avec des fourreaux, des fourrures, des bijoux, des robes de Madame Grès ou de ses émules transatlantiques.

Le cinéma que nous ressert Claude Gazier est définitivement celui d’une haute société à la Lubitsch, à la Hitchcock, classieuse, distante, retenue, où l’amour explose comme une bombe au premier regard, s’empare de destins contraires, perturbe pas mal de plans, tandis que fermentent dans l’ombre d’imprécises menaces, des tonnes de secrets, de délicates perversions…

Les plis des costards sur les bras prennent toutes les ombres et toutes les lumières. Les mains gantées d’Ava se posent griffes noir-panthère, sur les épaules de Burt Lancaster.

Les blondes sont très blondes, taches de lumière contrastant avec un vêtement, un détail très sombre. Les mains des fumeurs en quête de feu frôlent dangereusement des mains secourables. Avec la galanterie des années 40 les hommes sont parfois deux à allumer Marlène. A moins que trois femmes ne se partagent la même allumette. Marlon est plus que sensuel, Marylin émouvante, Bardot se trompe de film — elle s’ennuie dans Le Mépris. Pour Bogart, tranquillement séduit, Ingrid prend la lumière entre les moucharabiehs de Casablanca et Simone… Simone…

Colorant de «bleu atmosphérique» ses monstres sacrés, fixant les baisers emblématiques du cinéma, celui de Rhett Buttler et de Scarlett, celui de Bogart et de Bacall, le peintre poursuit ses aventures cinématographiques, très autobiographiques, et remarque : «Si je ne prends pas la place des héros, c’est que je préfère m’identifier à Cary Grant plutôt qu’à moi…»

Puis après une période d’exaltation de la couleur Claude Gazier explore une veine moins démonstrative, aborde dans une gamme de gris colorés sa série «Empreintes digitales», concentre son attention sur ces jeux de mains à peine ébauchés, mais lourds de sens. Le langage des mains parle du premier contact, des mains qui se tendent, touchent, prennent, arrêtent, accrochent, donnent le change dans des positions d’abandon suspectes…

Dans sa dernière période, Claude Gazier se souvient de la place de l’anamorphose dans son parcours. Etudiant en architecture il est séduit par une exposition aux Arts décoratifs en 1973 : Le Secret des anamorphoses. Il se passionne alors pour le trompe-l’œil baroque, Rome, et fait son mémoire sur le trompe-l’œil architectural. De l’architecture, il glisse rapidement vers le décor de théâtre, de cinéma, puis progressivement il en vient à la peinture sur l’image de cinéma.

Dans ce qui est le clou de l’exposition au quai de Bondy, il réconcilie ses passions en créant quelques gigantesques anamorphoses cinématographiques…

Envolée de la jupe de Marylin sur la bouche de métro, cheville taurine, énormes jambons… Le peintre déforme ses images tant aimées que le travail de l’œil à travers un cache restaure évasivement dans ses dimensions mythiques.
Cette fois le mythe est mis à distance…

Claude Gazier

— Simone Signoret d’après Macadam de M.Blistène, (Fr, 1946), 2004. Cire et chaux sur granulats de marbre. 85 x 132cm.

— John Wayne d’après « La Prisonnière du désert » de John Ford (USA, 1956), 2003. Cire et chaux sur granulats de marbre.142 x 106 cm.

— La Cinquième Colonne d’après Alfred Hitchcock ( 1942), 2007. Chaux et cire sur granulats de marbre. 76x 76cms.

— Le Mepris, d’après le film de Jean-Luc Godard (France 1962) avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance et Fritz Lang, 2007. 130×230, chaux et cire sur granulats de marbre.

— Hollywood dancing d’après « Our Dancing Daughters » MGM (USA 1928), 2009. 90×160, chaux et cire sur mortier.

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