Quoi de plus périlleux que d’interroger le corps à travers l’art contemporain? Des avant-gardes des années soixante et aux performances extrêmes des Actionnistes viennois, jusqu’aux modifications corporelles d’artistes comme Orlan, le sujet semble saturé. C’est pourtant ce défi que relève Clarisse Hahn dans ses deux installations vidéos.
Elle filme sans pudeur des séances de photographies pornographiques, l’envers du décor sans autres commentaires que ceux du photographe. Les corps sont de simples objets, des éléments à mettre en scène pour susciter l’émoi du spectateur. Pour Ovidie, célèbre actrice et réalisatrice de films X, ces séances de travail exigent une intense concentration. Regards, pénétrations, orgasmes, etc., font l’objet de directives consciencieusement suivies. Sur un moniteur placé devant la projection de Ovidie, Clarisse Hahn présente une vidéo où des infirmières s’activent autour de patients. Ici encore, chez les malades ou les vieillards qui n’arrivent plus à dominer leurs gestes, le corps semble se détacher de lui-même. Chacun des mouvements fait l’objet d’une indication de la part des infirmières — « on va vous lever le bras », « on vous met dans la chaise madame? », etc.
Les deux vidéos opposent des corps vieux et malades à des corps jeunes et beaux. Mais elles rapprochent les situations dans lesquelles le langage ordonne aux corps. Sans jugement moral ni réellement d’impudeur, Clarisse Hahn met en relation des images et nous laisse le soin d’en extraire du sens.
Dans Boyzone, quatre moniteurs posés à même le sol diffusent des attitudes masculines: un maître chien dresse son animal, des hommes torses nus discutent en buvant de la bière, un jeune homme fait des exercices de gymnastique, des adolescents s’entraînant aux arts martiaux, etc. Autant de stéréotypes virils, entre jeux de domination par la force physique (maître chien, hommes torses nus) et tentatives de maîtrise de son propre corps (jeune homme faisant de la gymnastique). Ces images filmées sur un mode amateur laissent transparaître un érotisme qui nous transforme en voyeurs plus que ne le faisait la précédente installation (Hôpital/Ovidie). Car nos regards aujourd’hui saturés par la pornographie (Ovidie) et la souffrance (Hôpital) ne savent plus voir ce que notre quotidien recèle d’érotisme, de sensualité, de désirs à fleur de peau.
Clarisse Hahn montre les mystères et les étrangetés qui se cachent entre les corps, dans les méandres de la maladie, de la vieillesse, du sexe, du conformisme, de la virilité.
Clarisse Hahn :
— Ovidie, 2000. Vidéo, 116 mn.
— Hôpital, 1999. Vidéo, 56 mn.
— Hôpital/Ovidie, 2002. Installation vidéo.
— Boyzone, 1998-2000. Installation vidéo modulable.