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Claquettes et dancemusic

A la lisière de l’art contemporain et de la bande dessinée, Sammy Stein rayonne dans un paysage indéterminé, entre le livre, l’exposition, l’Internet et la musique. D’où peut-être le caractère transitoire de son travail, le chantier permanent de son trait de crayon.

Avec Claquettes et dancemusic, l’auteur rassemble une séquence d’environ deux années de dessins, réalisés pour l’édition et pour des accrochages ponctuels. On y retrouve cette veine grotesque imparable, ce tricot d’histoires à dormir debout. Les planches de Sammy Stein sont rangées en séries, elles-mêmes agencées dans un ordre obscur, souvent à mille lieux de la logique. Elles sont titrées «moto, moyen-âge, spores», «science, sexe, cactus» ou plus feuilletonesque, «les racines du mal», «amour/amitié, passions/confessions».
Le texte prend ici une place déterminante, pour intituler ou guider la lecture du dessin. Pour aiguiller également le lecteur vers une deuxième approche, à rebours ou en appui de l’image, surtout quand elle se montre impénétrable.

Une centaine de pages plus ou moins denses, des dessins jetés sur la feuille comme de véritables haïkus. Sans scories broussailleuses, plutôt légers, discrets, en retrait des métaphores trop ennuyeuses. Les pensées que ses dessins distillent fleurissent dans cet apprêt poétique, elles tiennent de la fulgurance et de la parole inconsciente. Du non-sens britannique même, le maniérisme en moins peut-être.

Il y a chez Sammy Stein ce charme discret de l’humour dadaïste, un rien dandy, un rien cynique. Ravageur parce que totalement inattendu. Rond et bonhomme pour coller au rire potache. Brutal et caricatural pour se moquer à froid de situations désarmantes, pourtant à deux doigts du réel.

«Rends-toi utile, tue-moi lentement» comme l’arbre le dit à la hache dans son livre. Sammy Stein montre un certain enclin au désenchantement, à l’impuissance face au monde. Puisqu’on ne peut le changer totalement, autant le regarder tourner, à distance. Observer de loin cette invitation choupinette à un brunch néonazi ; sourire en coin aux publicités décalées des pilules Viagra sur le net, aux scènes commentées de soumission sexuelle ; s’amuser de cette réincarnation ratée et de son mot d’excuse signé Bouddha ou de cette réunion du Ku Klux Klan façon Club Mickey.

Stein brandit des signes connus de tous comme de fiers étendards avant que ceux-ci ne s’enfouissent aussitôt, contrits par le commentaire ou le contexte qui les accompagnent. Des coups d’épée dans l’eau, des soufflets qui retombent sans même avoir eu le temps de prendre de l’allure. L’artiste aime les paradoxes qui se traversent, les certitudes qui ploient sous la perversion du doute.

Un détail pour jouer les trouble-fêtes. Un grain de sable pour briser la belle mécanique. Ou au contraire, une accumulation, une effervescence, une machinerie molle pour étouffer le sérieux, le grave, les codes de bonne conduite.
Ce sont ici ou là des champignons encombrants floqués sur des blasons médiévaux, des végétations luxuriantes à la fois belles et pernicieuses,  des paysages de l’an 3000 tourmentés par des réseaux de flux ultracomplexes, des animaux vampirisés par des extensions monstrueuses et épaisses. Tout un corpus de la déréliction que son dessin capte à merveille, sans cesse perché sur un fil, en acrobatie entre la ligne et le vide qui l’enveloppe.

Claquettes et dancemusic dépose l’humour à chaque page. Jamais avec la même intensité, ni les mêmes intentions. Parfois tendu, étrange, abstrait et grave. D’autres fois plus guilleret, poétique et sentimental. Chez Sammy Stein, la dualité est une seconde nature, depuis la valse constante de son dessin, entre minimalisme et représentation  conventionnelle, jusqu’au titre de l’ouvrage, glissant du patrimoine à la modernité.
Une dualité stimulante pour le lecteur d’autant plus que celle-ci est largement poreuse et permet toutes les subtilités.

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