Entre danse et théâtre, Les déclinaisons de la Navarre, de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau (Cie PJPP), offre un moment de délectation farfelue. En forme d’exercices de style, les deux danseurs se sont attachés à un objet cinématographique. À savoir une scène du film Henri IV, de Jo Baier (2010). Téléfilm historique, haut en couleurs, Henri IV, dépeint la vie sulfureuse d’un roi vigoureux, dans un monde plein d’intrigues. De ce film, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau ont sélectionné la scène où Henri de Navarre rencontre sa future reine : Margot (alias Marguerite de Valois). Un moment à la sensualité torride, nourri de dialogues évoquant aussi bien Harlequin que les romans-photos. Une scène que Claire Laureau et Nicolas Chaigneau rejouent encore et encore. Déplaçant le point de focal en modifiant ici un mot, en ajoutant là une contrainte… Le duo reprend ce moment érotico-kitsch, pour en tirer de la danse contemporaine.
Les déclinaisons de la Navarre de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau : une scène
Cela ne peut pas être une scène si… Dans un jardin à la française, Henri de Navarre (H.) se précipite sur Marguerite de Valois (M.). Laquelle, émue, renvoie sa suivante pour rester seule avec le roi. S’ensuit un bref échange chargé de sous-entendus. Puis, le dialogue culmine : « M. : Je ne t’aimerai pas. H. : Je t’aimerai d’autant plus. M. : Tu n’as pas le droit. H. : Qui pourrait me l’interdire ? M. : Moi ! » Ce sur quoi, il l’étrangle et l’embrasse en même temps. Durée totale de l’extrait : deux minutes. À la fin des années 1950, le sociologue Richard Hoggart s’est attaché à observer les phénomènes de culture de masse. Dans La culture du pauvre, il décrit le va et vient entre les produits de l’industrie culturelle, à destination des classes populaires, et l’accueil que celles-ci leur réservent. Une réception autant teintée d’enthousiasme que de détournement et de réappropriation, par la dérision notamment.
Entre danse et études culturelles : un exercice de style, chorégraphique et drôle
Avec Les déclinaisons de la Navarre, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau s’approprient par la danse un moment de télévision plutôt ordinaire. Ils le désarticulent et le recomposent jusqu’à en faire un instant emblématique. Exercice d’Études culturelles transposé en danse contemporaine, Les déclinaisons de la Navarre donnent à penser comme à rire. Là où, négligemment, le téléfilm infantilise le public en lui servant une version plutôt niaise des faits historiques, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau accentuent la caricature. Avec humour, façon Monty Python, ils transforment la mièvrerie en danse de réappropriation culturelle. Creusant la veine du grotesque, leur pièce oscille alors entre satire et dextérité, via une chorégraphie énergique, virevoltante, qui s’amuse des rythmes. Réponse du berger à la bergère, Les déclinaisons de la Navarre soulignent, avec une légèreté et une drôlerie toute primesautières, la portée sociopolitique des scènes les plus banales.