Les nouvelles sculptures de Claire-Jeanne Jezequel entretiennent un rapport particulier avec la surface des choses. Les « Prises uniques » et les « Splash », chacune à leur manière, jouent avec l’horizontalité. Les premières sont des pièces murales, posées à même les cloisons, tandis que les autres s’étalent sur la moquette de la galerie.
Dans deux styles différents mais dans une approche similaire de la sculpture, ces deux séries tracent des lignes qui délimitent des niveaux. Elles sont des points d’équilibre, elles ne définissent pas l’espace, pas plus qu’elles ne renvoient à lui, elles ne sont pas des miroirs qui éclatent ou confinent l’espace d’exposition, non, elles ne renvoient qu’à elles-mêmes, elles sont des mètres-étalons mesurant leur propre dimension et jouant sur leurs points de rupture. Comme les deux plateaux d’une balance, les pièces présentées servent à mesurer leur propre poids.
Le regard et l’imagination sont sollicités dans ces constructions, plusieurs références sont évoquées comme les fameux Splash de David Hockney ou les Expansions de César.
Les « flaques » de sculptures posées par terre embrassent ces deux références. La surface en terre cuite peinte délimite son centre autant qu’elle est délimitée par lui. Ces îlots posés à même le sol creusent des ornières émaillées au milieu de la pièce. Ces « flaques » sont des monticules de sculptures autant que des creux. Cette accumulation de matière émaillée se dresse autant qu’elle se terre sous le plancher.
Ce rapport entre le haut et le bas, entre le sommet et le socle, on le retrouve dans les « Prises uniques ». Le point médian et délimitateur n’est pas joué par le plancher mais par un fil invisible. Plaquées contre le mur et à hauteur de poitrine, ces sculptures « à la main » sont encore chaudes du geste créateur. Les « Prises uniques » sont des pièces uniques, l’artiste a plongé ses mains dans la terre et en a retiré la substance de sa création. En une seule poignée, la sculpture a tiré assez de matière pour se transformer en œuvre. A la place du sable qui coule entre les doigts, la terre ici devient une glaise qui ne laisse rien filer. L’empreinte des doigts de l’artiste est encore visible comme dans les récents travaux de Gabriel Orozco.
Ces installations murales ressemblent à des petites maquettes, elles évoquent autant les montagnes que l’on trouve dans les paysages de train électrique, que les représentations en 3D des relevés géologiques et topologiques. Entre la fabrication « fait main » et la représentation assistée par ordinateur, Claire-Jeanne Jezequel choisit de travailler sur les strates. Sa sculpture est une poignée de terre, elle est un poing fermé. Mais, mis l’un à côté de l’autre, les éléments rejouent le processus de sédimentations. La mémoire se superpose en plateaux comme si les lignes de la main par contact et par décalque pouvait se lire à l’intérieur de ces poignées de terre exposées.
Les « Splash » étaient pris dans un mouvement d’englobement et d’éclatement, les « Prises uniques » sont pris dans un jeu analogue qui oscille entre le renfermement et le débordement. Les strates de terre peintes sont ici des plis de mémoire, des plis en creux et en plein, ils écrivent une histoire à la fois personnelle, celle de l’artiste, et une histoire topologique, celle du lieu. Entre ces deux mémoires, les formes et les vies sont prises dans des mouvements de convulsion, elles sont prises dans des extensions et des rétentions, la sculpture ici devient une respiration qui alterne entre les inspirations et les expirations, la sculpture devient un souffle.
Claire-Jeanne Jézéquel
— Série « Prises uniques », 2003-2004. Terre peinte, acier, inox.
— Série « Splash », 2004. Terre cuite émaillée.