Le point de départ de Portrait de groupe avec femme(s) (2018-2020) est simple : « Être subordonnée m’est impossible ». Plus encore qu’une revendication : un constat qu’opère la chorégraphe Claire Durand-Drouhin (Cie Traction). Et cette conjonction entre être femme (avec un corps de femme, une place sociale de femme) et la conscience d’un hiatus, Claire Durand-Drouhin s’en empare par la danse. En donnant corps à la puissance de ce rapport de force. Charnel, Portrait de groupe avec femme(s) creuse la chair du quotidien. Femme, mère, épouse… À chaque rôle correspondent des gestes. Qui rassurent autant qu’ils aliènent. Bercer l’enfant, se tenir assise sur une chaise (clin d’œil à Rosas d’Anne Teresa De Keersmaeker ?), lever les bras au ciel en signe d’imploration… La pièce, pour cinq danseuses, conjugue les registres. Mais à ce vocabulaire peut-être typiquement féminin, ou intériorisé comme féminin, viennent également s’ajouter d’autres gestes.
Portrait de groupe avec femme(s) de Claire Durand-Drouhin : les rituels du féminin
Sur une musique percussive et profonde, à ces attitudes féminines s’adjoignent ainsi des gestes guerriers. Des gestes qui parlent de l’énergie à puiser au fond de soi pour se battre. Comme un grand haka, les cinq danseuses s’emparent de l’espace. Femmes d’âges différents, Pauline Bigot, Claire Durand-Drouhin, Inés Hernandez, Haruka Miyamoto et Jyotsna Liyanaratne font alliance sur les sonorités de Mohsen Taherzadeh et Hossein Alizadeh. Autrement dit, au son du daf, un grand tambour déjà présent en Assyrie. Un instrument qui accompagne certains rituels, qu’ils soient associés aux cultures soufies, persanes, kurdes… Et cette ambivalence gestuelle de femmes donneuses de vie et de mort, de femmes sensuelles et guerrières, Portrait de groupe avec femme(s) s’en empare. Une ambivalence peut-être diluée dans le culte christianisé d’Aphrodite, mais bien présente dans d’autres mémoires. À l’Ève sage, côte d’Adam, se substituent alors les souvenirs d’Inanna et Ishtar, Astarté, Sekhmet, et peut-être même Kali.
L’ambivalence des femmes, donneuses de vie et de mort : canaliser la violence reçue
À ces déesses guerrières s’ajoute l’image, plus récente mais tout aussi connue, des femmes combattantes kurdes. Jeunes ou mures, armes à la main, mères et soldates… Elles donnent (et rendent) la vie comme la mort. « Être subordonnée m’est impossible » : cette ambivalence, Portrait de groupe avec femme(s) l’ausculte, la canalise. En lui donnant des corps, des visages, des gestes, un rythme comme une structure. Cette violence reçue de la soumission imposée, qui n’a d’autre échappatoire que de se redéployer, Claire Durand-Drouhin en fait une danse. Une recherche chorégraphique en deux volets, dont ce Portrait de groupe avec femme(s) est le premier opus. À l’aune d’une danse sensuelle et vive, en prise directe avec la puissance des rapports de force mobilisés. Travail d’exploration et de transmission, le second opus prend les traits d’une refonte du premier, avec d’autres interprètes (amatrices, étudiantes…). Des femmes initiées par les danseuses professionnelles de ce premier opus.
À retrouver pendant le festival Bien Fait ! 2019 (organisé par Micandanses).