ART | CRITIQUE

Citadelles en suspens

PMarie-Jeanne Caprasse
@21 Fév 2013

Anne Barrault a donné carte blanche à Pacôme Thiellement, écrivain et vidéaste français. Passionné de bande dessinée et de culture populaire, il réunit ici des œuvres de Killoffer, Topor, Gébé, Scott Batty, Captain Cavern, Olivia Clavel et Jean-Christophe Menu.

Mêlant dessins à l’humour décalé ou absurde, collages aux ambiances ténébreuses et peintures aux accents pop et psychédéliques, Pacôme Thiellement partage dans cette exposition sa vision de l’artiste comme un chamane. Celui qui voit au-delà du réel, un monde seulement accessible par l’extase, les rêves et les images. Il le nomme «monde des formes en suspens, en référence à Sorhawardî, philosophe mystique iranien du XIIe siècle.

Imprégné d’une vision spirituelle de l’art, le commissaire d’exposition réunit des univers formels très différents mais cependant connectés par une référence au graphisme populaire: bande dessinée ou dessin humoristique publié dans le magazine satirique Hara-Kiri. S’il convie l’humour, ce n’est pas tant pour nous faire sourire que pour questionner l’ordre des choses. C’est sa valeur de résistance qui l’intéresse, le considérant comme une véritable arme de guerre.

Passerelles entre fiction et réalité, les images qu’il rassemble jouent avec nos repères. Les intrigants dessins de Killofer et Roland Topor déstructurent et recomposent les corps humains, dans une sobriété de trait qui souligne la part de jubilation intellectuelle qui manipule le corps à l’envi et le traite comme une phrase poétique.

C’est aussi de l’humain dont il est question dans les photo-montages retravaillés par Scott Batty. Il se dégage du noir et du blanc, comme de l’opacité des matières, une dimension onirique et mystérieuse. Ses femmes à la peau blanche apparaissent comme des êtres fantomatiques captifs d’un monde nocturne pétri de nos peurs et de nos angoisses.

Si les couleurs et le graphisme de Gébé sont à priori teintés de légèreté et de fraîcheur, la vision désespérée et absurde qu’il nous livre dans «Les dangers de ne pas partir en week-end en voiture» ne semble pas moins noire et anxiogène. L’évasion réjouie et euphorique, on la trouvera du côté de la peinture de Captain Cavern. Un fourmillement halluciné de formes colorées organisées dans un mouvement dynamique qui rappelle les motifs psychédéliques.

Globalement, les mondes parallèles cultivés par Pacôme Thiellement flirtent avec une douce frayeur et un plaisir à lever le voile sur ce que les esprits rationnels tenteraient de dissimuler. Dans la planche de BD de Jean-Christophe Menu, le sujet de l’action descend dans l’antre de la terre pour, avec effroi et anxiété, y découvrir signes et êtres mystérieux. Même dans la toile énergique et colorée aux motifs comics d’Olivia Clavel, le texte de Jung inséré dans l’image vient invoquer les puissances de l’ombre et la lumière de la conscience. Homme qui es-tu? Monde, que caches-tu?

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