Ciprian Muresan
Faisant référence à la littérature, les œuvres de Ciprian Muresan analysent les structures du pouvoir, le conditionnement des idéologies — politiques, religieuses ou économiques. Dans des œuvres souvent grinçantes et ironiques, l’artiste évoque les réalités de la Roumanie d’aujourd’hui: le rapport ambivalent à l’histoire récente, les changements politiques et d’idéologie (notamment la fin du communisme), la fascination des pays de l’Ouest et la perte des traditions locales.
Mais si la situation des pays de l’Est est un point de départ, elle s’inscrit dans une réflexion plus globale sur le monde contemporain, marqué par la fin des utopies et dominé par le divertissement — une culture globalisée et consensuelle. La référence aux formes du divertissement permet à l’artiste de porter un regard décalé; l’humour et le jeu sont utilisés comme véhicule des idées. Sur ce terrain de jeu recyclé, la figure de l’enfant occupe une place de choix; petite éponge conditionnée par les idéologies ambiantes, il est le symptôme de sociétés, au cœur de la construction de l’identité et de l’uniformisation de la pensée.
Qu’elles abordent des questions directement politiques ou historiques, ou empruntant des chemins plus poétiques, humoristiques ou évocateurs, les œuvres de Ciprian Muresan proposent une réflexion sur les différentes réalités du monde contemporain.
Les œuvres exposées dont la plupart sont présentées ici pour la première fois suivent et reconfigurent les thèmes centraux de son travail; la condition de l’enfance, le rapport avec l’histoire de l’art, le paradoxe des expériences humaines.
Les cartes militaires sont aujourd’hui de simples objets d’archives, ayant surtout une signification esthétique. Dans La Carte (2012), Ciprian Muresan prend comme point de départ une carte militaire de l’empire Austo-Hongrois, en demandant à des enfants de 4 à 13 ans de copier chacun une partie, sans connaître l’ensemble. Démembré, le résultat devient une abstraction: tirets, bâtons, ligne ponctuée, chiffres, des éléments utilisés à l’école mais qui, ajoutés les uns aux autres, restitués en tant qu’ensemble, peuvent devenir une arme, tout comme les soldats manipulés par les officiers n’avaient pas besoin de connaître ou de maîtriser quelque «art de la guerre» pour être létales.
I’m too sad to tell you de 1971 réalisé par Bas Jan Ader représente, pour l’artiste roumain, une œuvre située quelque part à la limite entre le sublime et le pathétique.
Sa réponse à cette œuvre est Le portrait de Bas Jan Ader, une série de dessin (78) mis en animation vidéo dans un geste artistique émotionnel et cérébral, surprenant et ironique.
Dans Praxis of Starvation (2012) se succèdent dans cette vidéo diverses expériences de la privation de nourriture. Si les motivations — quelques-unes volontaires, les autres involontaires — sont bien différentes, ce que l’on découvre une fois que la galerie de personnages captée par Ciprian Muresan commence sa succession aléatoire représente une sensation plus qu’une idée.
Une œuvre plus ancienne, Untitled (La porte et la main), de 2005, est, peut-être, le plus poétique de tous ses travaux. Quel est le rapport entre l’image d’une porte et la photo d’une main? Difficile à dire. Le même rapport, peut-être, que celui entre une historiette moralisante et un épisode de famille accidentel, ou entre un trou de clou et une cicatrice.