Le compte à rebours est enclenché. Big Crunch Clock, de Gianni Motti, surplombe la porte du Palais et égraine les minutes qui nous séparent d’une explosion solaire. Le ton est donné, la visite commence.
Laboratoire futuriste. Un chemin se dessine entre deux immenses parois de spots lumineux. On se glisse à l’intérieur de la salle principale plongée dans la pénombre. D’étranges installations nous attendent. Une structure métallique suspendue dans les airs perce les murs et rythme l’espace.
Scape, de Vincent Lamouroux, apparaît comme un «conduit» évidé, un rail en attente. Les œuvres de cet artiste relèvent à la fois de la sculpture et de l’architecture. Passionné par les formes et le mouvement des montagnes russes ou des grands 8, il modifie l’espace en jouant avec les lignes de ces armatures. Il cherche à intervenir sur nos repères visuels et sur nos sensations physiques. Une impression de légèreté se dégage de ces charpentes qui ondulent et qui transpercent les murs de la première pièce. Dans leur circonvolution, elles guident notre regard vers le haut et font écho au film de Gianni Motti diffusé en boucle sur un écran accroché au plafond.
Support de la vidéo Higgs. A la recherche de l’anti-Motti, le film montre l’artiste de dos en train de parcourir les 27 km de l’accélérateur de particules Lhc du Cern de Genève. Dans son travail, Motti aime faire cœxister le vécu et l’inventé, le vrai et le faux. Il voue un intérêt tout particulier aux phénomènes naturels et s’approprie des événements sur lesquels l’homme n’a pas de prise: séismes, éclipses, trajectoires des planètes ou, comme on l’a vu à l’entrée, la disparition programmée de l’astre solaire dans 5 milliards d’années sont les sujets de ces productions.
Avec elles, il nous met face à la fragilité de notre existence et de nos croyances. Il cherche à nous rappeler que «l’une des fonctions essentielles de l’art est d’ébranler les murs de nos certitudes». Cet homme qui marche dans un tunnel sans fin devient la métaphore de toute l’exposition. C’est le témoin d’une énergie créatrice, d’une exploration permanente vers l’ailleurs et d’une avancée inassouvie vers des domaines inconnus.
Points communs. On se demande alors ce qui réunit ici tous ces artistes. Patman 2 de Michel Blazy, nous donne peut-être un élément de réponse. Sa sculpture en fibre jaunie, est à mi-chemin entre le naturel et l’artificiel. Cette sphère «sur pattes» ressemble à un personnage sans tête. La démarche de Blazy consiste à révéler un processus. Ses œuvres évoluent et mettent en lumière une nature en mutation. Patman 2, être hybride, résume cet état transitoire, ce devenir en attente.
Plus loin, la Honda et la Vespa, de Mark Handforth, soulignent à leur tour ce propos. Des bougies de différentes couleurs se consument sur ces engins couchés à terre. Petit à petit, la cire redessine leurs contours. Elle transforme l’image de ces objets recontextualisés dans l’espace d‘exposition. En jouant sur l’équilibre et l’instable, l’artiste propose d’autres visions possibles pour un monde en perpétuelle recomposition.
Pour lui «les états de transition permettent le maximum de possibilités de changement, car il y a un monde entier pour prendre les choses et un monde entier pour les faire». Il utilise alors le quotidien et l’altère sans le détruire. La notion de programme prend ici tout son sens. Toutes les œuvres présentées, sont autant d’énoncés plastiques. Soumises à des contingences multiples, elles vont prendre des visages différents. Le temps va redéfinir irrémédiablement leur forme.
A l’image du singe somnambule, Gone, de Tony Matelli, nous avançons dans un univers inconnu. L’obscurité se fait totale dans le fond de la première pièce. Guidés par le son répétitif de la goutte d’eau factice qui tombe dans le seau de Ceal Floyer, nous explorons les derniers recoins de cet espace changeant. Joachim Kœster, nous éclaire une dernière fois en nous adressant son Message à Andrée. Les photographies, clichés témoins d’une expédition en montgolfière au Pôle Nord en 1897, se révèlent avec toutes leurs imperfections. Ces marques du temps sont aussi celles de l’issue catastrophique de ce voyage. Les tâches noires, les griffures et les rayures de lumière constituent pour l’artiste un nouveau langage. Ces cicatrices «marquent la lisière du visible, tracent la bordure de l’inconnu, signalant la zone incertaine entre le dicible et l’indicible, le document et l’erreur».
La visite se prolonge. Le fluctuant laisse la place au hasard et au fugitif. La pièce voisine, «Une Seconde Année», renferme des œuvres qui s’activent de manière aléatoire tout au long de l’exposition. Une diapositive de Big Ben se projette sur le mur à l’heure exacte où la photographie à été prise par Jonathan Monk, devant le monument.
Les sifflets de Lara Favaretto se déroulent de temps à autres sous la pression de l’air comprimé des bouteilles auxquelles ils se raccrochent. Fly Electrocutor, de Fernando Ortega, attend le passage malencontreux d’un insecte pour l’électrocuter et plonger l’espace dans le noir.
Nous sommes tributaires d’une programmation qui nous échappe, acteur et spectateur d’une instabilité que l’on contemple d’un regard amusé.
Les deux axes de l’exposition se superposent alors. Le temps modèle l’espace plastique des œuvres et du lieu qui les accueille. Un bruit sourd se fait entendre. Un personnage se cogne la tête contre le mur. Révolution, de Kristof Kintera, résonne et ponctue notre déambulation. L’écriture d’un langage en passe de se renouveler flotte dans l’air, comme la bande, Flying Tape, de la machine à écrire de Zilvinas Kempinas. Une poésie visuelle et sonore imprègne l’endroit.
«Cinq Milliards d’Année», s’inscrit dans la continuité et pousse le visiteur à réitérer cette expérience hypnotique. La course folle du motard anonyme Ghost Rider, vidéo présentée en fin de parcours, nous projette dans une incertitude sans fin. Attirés par la maîtrise d’un destin qui nous échappe, nous sommes pourtant confrontés à nos propres incapacités. Les œuvres exposées sont là pour nous rappeler notre place et notre fragilité. Peut-être même, notre devoir d’humilité, quand à la supériorité intellectuelle que nous faisons parfois peser sur un univers qui reste incontrôlable.