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Chronique

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

Mise scène, simulacre et simulation : ce que Florence Paradeis capture et donne à voir, c’est la paradoxale mise en scène d’un instantané qui questionne la prise de vue et le temps dans l’image photographique sous les traits d’un arrêt sur image.

Le titre de l’exposition des œuvres récentes de Florence Paradeis est emprunté à une des photographies intitulée Chronique. L’image, glacée par son support plastifié, montre une personne, probablement une femme, les mains posées sur les battants d’une fenêtre. Dehors, en contrebas, s’étend un paysage urbain traversé par des voies ferrées, paysage banal et poétique comme le sont dans la ville les lieux près des gares. Le cadrage est serré sur le geste quotidien, ordinaire à un détail près : la double page d’un journal — Le San Francisco Chronics — dont le titre est inscrit en caractère gothique, est plaquée sur le visage du personnage.

D’où provient le journal faisant irruption dans le décor ? A-t-il été soudainement apporté par le vent, selon le fil d’un étonnant hasard provoquant d’insolites rencontres, sous le regard d’un appareil photographique qui chercherait à capter, mieux, à capturer, ce que Cartier-Bresson a appelé « l’instant décisif » ?
L’hypothèse est improbable. Au contraire, à l’instar du piqué de l’image, tout conduit à penser mise scène, à penser simulacre et simulation. En fait, ce que la photographie capture et donne à voir, c’est la paradoxale mise en scène d’un instantané qui questionne la prise de vue et le temps dans l’image photographique sous les traits d’un arrêt sur image.

Le titre de l’œuvre, Chronique est emblématique du travail de Florence Paradeis : mot désignant ici le journal plaqué sur le visage, sa polysémie évoque aussi une relation au temps — chronique vient de khronos ; Chrono est d’ailleurs aussi le titre d’une des photographies présentées — et journal oblige, il évoque aussi le quotidien, en ce que le quotidien peut souffrir du banal, de façon chronique. « Ma préoccupation, dit l’artiste, est la durée de l’image. Maintenant, de la même façon qu’elle prend son temps dans un semblant d’instantané, l’image prend sa forme dans un semblant de banalité ».

Le banal, pour reprendre l’expression d’Arthur Danto, en serait-il pour autant transfiguré ? Il semble, dans ces images, plutôt exacerbé, un peu comme dans un tableau en trompe-l’œil, qui, selon Louis Marin, fonctionne comme « un comble de représentation ». Ainsi, le banal est joué et déjoué, jusqu’à ce que, dans sa théâtralisation, dans la suspension de sa durée, une nouvelle présence se dresse et nous invite à adopter un autre regard.

Une motte de terre lancée en une pelletée vers le regardeur, figée en son envol et comme plaquée sur la surface brillante de la photographie aux couleurs saturées, un homme pris de profil dans un léger bougé, tenant une fléchette et visant le hors-champ, ou encore, dans une vidéo passée en boucle, une femme traversant une route correspondant au champ de l’image, de gauche à droite, sortant du champ à droite, puis revenant dans le cadre, retraversant de droite à gauche, autant de gestes et de scènes ordinaires dont la relation au temps, dont la dilatation de la durée, sa saisie et sa suspension, contribuent à produire ce que Freud nomme une « inquiétante étrangeté ».
Dans L’infra-ordinaire, Pérec écrivait : « Peut-être s’agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie ; celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endotique ». C’est bien cela que ces images explorent et interrogent, dans le jeu savant de ses divers paramètres : le cadre, le hors-champ, l’ellipse, …et dans les divers états de l’image, qu’ils soient photographies, vidéos, ou plus récemment, montages.

Les images de Florence Paradeis sont ainsi des prises de vue qui, loin de nous dérober la vue dans un effet d’aveuglement, instaurent, voire restaurent, un regard singulier sur le cours ordinaire des choses autant que sur l’insolite qui les habite, comme elles questionnent aussi de l’image, en les donnant à voir, le pouvoir de simulation et la force poétique.

Florence Paradeis
— Direct Producteur, 2000. Vidéo.
— Sous la lune, 2003. Impression jet d’encre sur bâche, chassis. 200 x 280 cm.
— Paillettes, 2002. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 56,5 x 70 cm.
— Chronique, 2003. Tirage RA4 contre-collé sur dibond et plastifié. 100 x 126 cm.
— Le Compteur, 2002. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 90 x 113 cm.
— Flechette, 2003. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 113 x 90 cm.
— Des fleurs, 2003. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 56 x 72 cm.
— MX, 2000. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 90 x 113 cm.
— A Bicyclette, 2003. Collage photo. 55 x 44 cm.
— Sans titre (Pelletée), 2003. Tirage Ilfochrome contre-collé sur dibond et plastifié. 100 x 150 cm
— Chrono, 2003. Collage photo. 60 x 54 cm
— Sans titre, 2003. Vidéo.1’.

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