Interview
Par Aude Bourbon et André Rouillé
Christophe Girard. Maire adjoint de Paris.Chargé de la culture
Paris-art. De quelle manière avez-vous conçu Nuit Blanche ?
Christophe Girard. Le Maire, Bertrand Delanoë, m’avait donné comme mission de rendre la ville moins timide, de la décoincer. Paris est une ville magnifique, mais qui courait le risque de devenir une ville-musée. Je rêvais depuis longtemps, en tant que citoyen, d’une grande ville qui soit ouverte la nuit. Il s’agissait ici de le faire avec des établissements publics, piscines, musées, églises ou gymnases pour célébrer la beauté vivante de Paris. Cet événement permet donc que l’art contemporain soit célébré, et que les artistes créent de façon originale et exclusive pour une nuit. Parfois, les œuvres sont pérennes, ou bien elles sont offertes ou achetées. La meilleure sanction de Nuit Blanche, c’est de voir que Berlin qui faisait la Nuit des musées, et donc du patrimoine, fait maintenant une Nuit Blanche, de même que Rome, Montréal en février et bientôt San Francisco et Toronto. Cela montre bien le succès de Nuit Blanche.
La Nuit Blanche n’est-elle pas comme une belle vitrine dont l’éclat masquerait la situation moins glorieuse de l’art contemporain à Paris ?
La Nuit Blanche ou Paris Plage sont des événements très populaires qui donnent un éclairage presque éblouissant, mais il y aussi tout le reste: l’augmentation du nombre d’ateliers pour les artistes, les crédits d’acquisition importants pour les travaux de rénovation du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’éducation artistique dans les écoles et les conservatoires, le patrimoine, l’entretien des églises, la Journée du patrimoine, mais aussi les bibliothèques ainsi que notre présence à la FIAC. Quand j’ai proposé la date de la Nuit Blanche au Maire, je l’ai choisie de manière à ce qu’elle soit proche de celle de la FIAC, pour qu’il y ait une résonance. Mais on n’empêchera pas de dire que ce sont des flash.
Quelle peut être la place du secteur privé dans l’opération ?
Le secteur privé est le bien venu, les mécènes qui veulent soutenir la manifestation sont de plus en plus nombreux parce qu’elle apporte à Paris un gros éclairage, et qu’elle s’accompagne d’une vitalité économique importante. En outre, s’ajoutent à Nuit Blanche des initiatives de la part des écoles d’art, des conservatoires, de l’École des Beaux Arts, du centre Pompidou ou du château de Versailles, car ces établissements comprennent que c’est une occasion formidable d’attirer un public qui n’ose pas venir à eux.
Comment les associations, les artistes, les Parisiens peuvent-ils intervenir, participer, à la Nuit Blanche ? Est-il possible, une fois que l’équipe a été choisie par la Mairie, de s’investir et de s’impliquer dans la manifestation ?
Oui et non. De mon point de vue, c’est absolument nécessaire qu’il y ait une colonne vertébrale, qu’une manifestation ait une personnalité, un caractère, qu’elle soit reconnaissable et exigeante. Il faut qu’il y ait un chef d’orchestre. Ça aurait effectivement pu être une foire ouverte, mais nous n’avons pas fait ce choix. En revanche, les artistes peuvent tout à fait, de façon autonome ou organisée, par le biais d’associations locales ou de mairies d’arrondissements, s’accrocher au wagon. La Nuit Blanche se compose d’une programmation officielle de trente à quarante manifestations autour desquelles tout le off s’organise. Évidemment, les membres du off souhaiteraient être dans le programme, mais on ne peut pas faire un annuaire, d’autant que nous ne disposons pas des informations nécessaires et de la possibilité de les vérifier.
Où en sont vos trois grands projets : le 104 (rue d’Aubervilliers), la Maison des Métallos et la Gaîté Lyrique ?
À la Gaîté Lyrique, les procédures légales se déroulent sans retard, l’architecte a été choisie, c’est donc Manuelle Gautrand qui travaille déjà sur le projet. Le chantier devrait être terminé début 2006. Même chose pour le 104 (rue d’Aubervilliers), l’architecte a également été choisi et le lieu ouvrira en septembre 2006, ce nouveau lieu culturel pour le nord-est parisien sera consacré aux arts plastiques et aux arts du spectacle. Au début 2006 la Gaîté Lyrique deviendra un centre de référence pour la production, de l’enseignement et de la diffusion des arts numériques et interactifs.
Comment sont choisies les équipes ?
Un appel à candidature a été publié dans les journaux pour que les équipes intéressées par la gestion du lieu se manifestent avec leur projet artistique, pour l’animation et la gestion du lieu. Nous avons reçu beaucoup de dossiers parmi lesquels nous effectuerons notre sélection.
Pourquoi ce projet autour des arts numériques ?
Les nouvelles technologies font partie de la culture contemporaine, et il est impensable que Paris ne soit pas dans la réalité de son époque. La Gaîté Lyrique a été choisie parce que le lieu est central et prestigieux. C’est en outre un lieu qui a, dans la période précédente été très malmené, véritablement cassé. Réparer l’outrage fait à un lieu magnifique pour, d’une façon optimiste et positive, ouvrir à une nouvelle forme de création.
On a parfois l’impression que Paris souffre, dans le domaine de l’art, d’un manque de visibilité. En dépit de tous les événements et projets, ce n’est plus à Paris que les choses importantes se passent.
La situation est en train de changer. Quand je vais à Berlin, Montréal ou New York on me reparle de Paris. En trois ans déjà beaucoup de changements ont eu lieu. Mais les procédures publiques de marché sont très longues. Le Petit Palais et le musée Cernuschi vont rouvrir. 2006 va arriver très vite ! Mais ce que vous dites sur la période charnière est juste. Cela dit, il y a aujourd’hui des perspectives qui n’existaient pas et qui changent l’état d’esprit. Les étrangers reviennent pour investir et s’instruire sur nos méthodes. Je n’ai jamais reçu autant de collègues étrangers que cette année !
Vous êtes vous-même collectionneur. Pourquoi ne pas montrer votre collection ?
Car étant élu, on m’accuserait de favoriser tel ou tel artiste. Je préfère garder ce que j’ai dans ma vie privée. Un élu doit-il montrer ce qu’il est en privé ?
Mais vous pourriez ainsi montrer l’exemple…
Peut-être, mais il faudrait trouver la formule, une formule qui soit modeste.
Quelles sont les artistes qui figurent dans votre collection ?
Dans les artistes que j’aime beaucoup, il y a Matthew Barney, Jean-Michel Othoniel, Annette Messager, Sophie Calle, il y a des artistes plus anciens comme Morellet, Djamel Tatah, Gabriel Orozco. J’ai aussi de jolies petites toiles de Poliakoff, un collage de Chillida, une résine de César, une petite toile de Pierre et Gilles, Johan Creten, des photos de Philippe Ramette. J’ai également des œuvres de Damien Hirst.