PHOTO | INTERVIEW

Christophe Girard

PElisa Fedeli
@22 Oct 2010

Adjoint au Maire de Paris chargé de la Culture, Christophe Girard revient sur l'interdiction aux mineurs de l'exposition Larry Clark au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Il rappelle que nul n'est au-dessus des lois. Ni les musées, ni même la presse.

Elisa Fedeli.Les photographies de Larry Clark sont-elles pornographiques?
Christophe Girard. Non, nous considérons que l’œuvre de Larry Clark est une œuvre artistique. Mais plusieurs avocats et plusieurs conseils juridiques considèrent que ce qui y est montré rentre dans le cadre du fameux article 227-24 du code pénal, c’est-à-dire d’un contenu pornographique ou violent. En l’interdisant aux mineurs, nous avons voulu protéger cette exposition pour qu’elle ne soit pas qualifiée de la sorte.

Pourquoi la simple mise en garde du public n’aurait-elle pas suffi?
Christophe Girard. La loi n’est pas ainsi faite. Elle est faite de deux articles: l’un concerne les mineurs en tant que sujets, l’autre en tant que spectateurs. Contrairement au cinéma, qui fait l’objet d’une commission de censure et d’interdictions aux moins de 16 ans ou de 18 ans, nous n’avions pas le choix. Soit nous interdisions aux moins de 18 ans, soit nous séparions dans une salle spéciale, interdite aux mineurs, une partie du travail de Larry Clark.

Pourquoi ne pas avoir interdit seulement la partie la plus crue des photographies de l’artiste?
Christophe Girard. Larry Clark souhaitait une présentation intégrale, et surtout cohérente, de son travail. Nous avons respecté sa demande, ce qui a entraîné l’interdiction aux mineurs. Dans les expositions précédentes, à la Maison Européenne de la Photographie ou dans des galeries privées, toutes les œuvres de Larry Clark n’étaient pas montrées, ou bien elles l’étaient dans un endroit séparé. C’est uniquement la série Teenage Lust qui pose problème. Nous avons décidé de montrer l’œuvre de Larry Clark au Musée d’Art Moderne dans son intégralité et ce pour la première fois, ce qui est à mon sens courageux.

Regrettez-vous que l’œuvre de Larry Clark tombe sous les coups de cette loi ? Cette affaire n’aurait-elle pas pu être l’occasion de réformer la loi?
Christophe Girard. Mais la loi, c’est la loi! Vous pouvez décider d’être un élu rebelle et hors-la-loi. Mais ce n’est pas ma conception du rôle d’un élu, ni celle du Maire de Paris. Nous ne sommes pas des parlementaires. Si la loi doit être changée, c’est à eux de le faire. Depuis cette affaire, je vous fais remarquer qu’aucun député n’a proposé de modifier cette loi.
Je ne regrette qu’une seule chose: que la loi ne se cale pas sur la majorité sexuelle, c’est-à-dire 15 ans et trois mois pour les jeunes filles et 16 ans pour les jeunes hommes. Dans le cadre artistique, ce serait plus intelligent, même si les contrôles seraient plus difficiles pour les gardiens de musées.

Ne regrettez-vous pas que les adolescents n’aient pas accès à une œuvre qui s’adresse justement à eux?
Christophe Girard. Le risque de voir l’exposition fermée au bout d’une semaine est plus grand que celui de priver 2% du public du Musée d’Art Moderne.
Les parents ont tout loisir de montrer à leurs enfants les œuvres de Larry Clark, en achetant des publications ou en s’informant sur internet.
Les journalistes eux-mêmes n’ont pas diffusé les photos les plus dures. Quand je suis allée à l’émission «Arrêt sur images», les photos de Larry Clark ont été passées à toute allure, car les montrer en plan fixe aurait mis l’émission sous le coup de l’article 227-24 du code pénal. Pourquoi ce qui s’applique à eux, ne devrait pas s’appliquer à nous?

Le musée est un contexte spécifique, dont la mission d’enseignement laisse penser qu’on aurait pu justement accompagner les adolescents dans l’approche de l’œuvre de Larry Clark, non?
Christophe Girard. Un musée n’est pas au-dessus des lois.

Ne craignez-vous pas que la loi,comme justification de votre décision, ne serve de prétexte pour resserrer le contrôle sur l’art?
Christophe Girard. Mais la loi servait déjà. A la FIAC en 2009, je vous rappelle que, sur simple dénonciation, les œuvres d’Oleg Kulik ont été décrochées et les galeristes mis en garde à vue.
Ce que je ne comprends pas, c’est que dans le contexte du cinéma, ca ne choque personne.

Ce que les médias ont craint, c’est un durcissement de la censure dans le contexte muséal. Une autre affaire semble leur donner raison : le 15 octobre dernier, les directeurs du Musée des Beaux-Arts et du Centre Paul Klee de Berne ont décroché deux photos de Larry Clark et une aquarelle de George Grosz et invoqué la polémique parisienne pour justifier leur prudence. Ils parlent d’«un avant Paris et d’un après Paris, dans l’affaire Larry Clark».
Christophe Girard. Je n’ai pas à commenter cette décision et à la juger. Je suis un élu et j’ai des devoirs vis-à-vis de la loi française. En Suisse, ils font ce qu’ils veulent.

Un dernier mot?
Christophe Girard. Je regrette qu’on ne montre qu’un volet des choses dans la presse.
D’une part, Larry Clark lui-même a décidé de ne pas montrer son film Jonathan dans l’exposition.
D’autre part, une plainte de l’association AGRIF a été déposée. Mais aucun média, sauf le Monde, ne l’a relaté. Elle demande la fermeture de l’exposition et invoque un autre article du code pénal, l’article 227-23. Certains considèrent donc qu’on n’aurait jamais dû faire cette exposition.
Quand nous serons mis en examen, j’espère que tous les journaux très courageux viendront nous défendre! Mais je crains que ce ne soit pas le cas.

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