ART | EXPO

Christoph Weber

14 Jan - 10 Mar 2012
Vernissage le 14 Jan 2012

L'artiste autrichien Christoph Weber dit ne s’intéresser qu'aux concepts. Sans toutefois être un artiste conceptuel au sens classique. En fait, il définit sa démarche artistique comme une  «intellection méthodologique», une actualisation de concepts.

Christophe Weber

La motivation première guidant ses réflexions n’est pas d’élaborer un style à part, de marquer son œuvre d’un sceau unique ou encore de faire la part belle à un médium en particulier, mais consiste davantage à rechercher une certaine technique de représentation ainsi que des critères permettant de déterminer pourquoi telle ou telle méthode artistique s’impose. Il aspire à trouver ce point, dans chacune de ses réalisations, où un certain nombre d’éléments se combinent en un tout, au sein duquel son analyse conceptuelle, l’idée sous-jacente à un objet, se matérialise sous une forme perceptible par les sens grâce au processus artistique.

Tout comme ses prédécesseurs historiques de l’art minimal, de l’art conceptuel et de l’art contextuel, Christoph Weber s’attache à explorer et à changer les mentalités et façons de voir traditionnelles. Il questionne les réalités et les systèmes de classification, les cadres institutionnels et leurs modes de représentation, de même que l’œuvre d’art traditionnelle en tant que bien mobilier. Ainsi, par exemple, l’une des idées fondamentales de l’art minimal, à savoir son indéfectible aspiration à la vérité, où l’œuvre d’art est vue non comme le vecteur d’idées préconçues mais simplement comme l’expression d’elle-même, prend un virage radical avec le travail de Weber. La forme de l’œuvre n’est plus entièrement déterminée en amont: la matière avec ses propriétés physiques s’allie au processus de fabrication pour la faire émerger.

«Quand un artiste utilise une forme conceptuelle d’art, cela signifie que tout est arrêté et décidé préalablement et que l’exécution est une affaire de routine. L’idée devient une machine qui fait l’art», écrivait Sol LeWitt en 1967. En revanche, dans l’approche de Weber, concept et processus de fabrication coexistent à parts égales, laissant délibérément une place au hasard et aux «détériorations» ou transformations dues au passage du temps.

Si Weber a auparavant exploité des matériaux tels que la cire, le papier mâché, l’aluminium ou les produits synthétiques, il a pour cette exposition travaillé exclusivement à partir du béton, qui se prête exceptionnellement bien à sa démarche artistique tant par son pouvoir symbolique que par sa constitution singulière. En tant que pierre artificielle, le béton passe par différents états, du liquide au solide, et peut donc non seulement se mouler en une forme prédéterminée, mais également, une fois durci, se travailler comme une scuplture, que ce soit par adjonction ou par soustraction de matière.

La pièce Untitled (Gegenstück) de Weber propose un mariage particulièrement frappant entre construction et déconstruction. Deux grands monolithes de béton séparés par une étroite crevasse entravent le passage du visiteur qui entre dans la galerie. Si on les contourne, l’anfractuosité révèle un important point de rupture vers le bas. Une énorme partie manque au coin de l’un des blocs, dont le pendant est quant à lui flanqué d’un rajout si semblable que le subterfuge s’en trouve dévoilé: le premier a été coulé exactement comme tel avant d’être retravaillé par une difficile prouesse de destruction, puis un moulage fidèle en silicone de la partie manquante a été réalisé pour l’accoler à l’autre bloc.

Un acte de construction rationnellement prévisible a fait suite à un acte de destruction matérielle qui constituait la condition préalable à ce développement. Ce n’est pas une manifestation au service de l’objectivité impersonnelle qui prime ici, mais une facticité qui illustre des catégories artistiques telles que la processualité, la matière, la constitution et la présence tangible de la matière dans l’espace. Dans le même esprit, avec Bündel, deux faisceaux de tiges d’acier de sept mètres de long, autour desquels le béton s’est enroulé avec une élégance presque organique, barrent les deux salles de la galerie, comme pour bousculer nos conceptions habituelles quant à l’utilisation appropriée et fonctionnelle des matériaux tout en défiant les lois de la pesanteur. La feuille de béton se soulevant en une torsion irrégulière (Bent inversion) dans la deuxième salle paraît fragile par comparaison, flottant au-dessus du sol telle une balançoire à bascule. Le gravier mélangé au béton est certes bien visible du côté brut, mais la face inférieure, infiniment lisse et luisante, trahit l’artificialité de la matière.

Dans cette exposition, en faisant peser ses objets de béton de tout leur poids dans l’espace, en les suspendant au mur ou en les posant délicatement sur le sol, Weber ne se contente pas de souligner les variations protéiformes de la physicalité de la matière, tour à tour massive, frêle ou organique, et les glissements contextuels qui en résultent. Il pratique la citation, la résonance et le leurre, souligne la fragilité du réel, de ses représentations et mécanismes de perception, fait tomber les idées reçues et les systèmes de classification pour mieux leur en subsituer d’autres aussitôt. Weber ne s’intéresse pas «uniquement aux concepts», ni au processus purement créatif qui élève l’œuvre d’art au rang d’«index» de l’acte physique de création, comme l’a décrit Rosalind Krauss, ni à une manifestation minimale autoréférentielle basée sur le diktat du purisme perceptuel. S’il fallait trouver une nouvelle formule, celle de «conceptualisme minimaliste processuel» conviendrait assurément.

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