Les vidéos So It Goes et Tate Modern sont toutes deux les témoins muets d’un incendie énigmatique et sans âge. L’absence de toute présence humaine et le caractère fictif des images ôte toute intensité dramatique à cet événement sans commencement ni fin.
Dans Tate Modern, on reconnaît l’escalator du grand musée londonien, échoué au milieu d’une forêt, seul rescapé d’un feu tout juste apaisé. Quelques débris de mur et la charpente métallique calcinée complètent ce vestige d’une civilisation déjà lointaine. Les cendres sont encore fumantees, et l’absence de mouvement de la caméra concentre l’attention sur les nuages qui s’élèvent depuis le sol.
Les arbres alentour ont miraculeusement échappé à ce feu sélectif, comme s’ils n’étaient pas concernés par ces flammes, ou comme s’ils étaient déjà sur le point de recouvrir la destruction de leur vitalité sauvage.
Une lumière blanche, mate et éblouissante à la fois, arrache au rythme des heures ce tableau aux marges de notre histoire et de notre monde.
L’installation So It Goes reprend cette thématique incendiaire. Un double écran juxtapose deux scènes ancrées dans le même paysage. L’une présente une garrigue sans fin, aussi plate qu’une steppe aride, aux couleurs ternes. Le ciel gris clignote d’étoiles de plus en plus brillantes: une pluie de comètes éclaire bientôt ce paysage déserté, allumant une grande ligne de feu à l’horizon.
Sur l’autre écran alterne deux longs plans fixes d’une structure géométrique mystérieuse, moulée dans le béton. Ces deux constructions rappellent les monolithes élevés pendant la guerre pour détecter les ondes émises par les avions. Ici, le météore a pris le relais du missile à longue portée, et la présence solitaire de ce bloc de pierre au beau milieu d’une terre inhabitée est aussi absurde qu’inquiétante.
Le regard oscille d’un écran à l’autre: les deux images se font écho mais ne complètent pas une narration. Les films tournent en boucle, et le décalage des deux images interdit de déterminer un début ou une fin.
Apocalypse ou feu originel, destruction ou renaissance, fin des temps ou aube de l’univers, l’événement ouvre une alternative qu’il est impossible de trancher. Emblème de la puissance créatrice de l’humanité, le feu est pourtant l’élément naturel le moins contrôlable et le plus dangereux. Le point inaugural de notre histoire est à l’horizon de tous les grands récits dédiés à l’origine de l’intelligence humaine, et de toutes les prédications catastrophistes. L’instrument de notre puissance est une arme capable de se retourner à tout moment contre celui qui la brandit.
La récente vidéo de Chris Cornish, Self Portrait, est une coupe sagittale en trois dimensions du crâne de l’artiste. Ses reliefs intérieurs ressemblent à l’antre d’un volcan rougeoyant. La cavité tourne lentement sur elle-même, ne laissant apparaître que très progressivement la forme d’un crâne.
Dans l’univers de Chris Cornish, le feu est l’élément par lequel tout arrive, et l’événement au terme duquel la fin ultime se confond avec un déploiement originaire. Le temps et l’espace sont privés de leur repères ordinaires, renvoyés à l’indétermination d’un réel entièrement retravaillé par le numérique.
Chris Cornish :
— Self Portrait (Abstract Plain), 2006. Vidéo HD. 1 mn 20.
— So It Goes, 2004. Vidéo.
— Tate Modern, 2003. Vidéo.