Qui n’a pas vu l’affiche du spectacle Tutu de la compagnie barcelonaise Chicos Mambo ? Sur fond rouge vif, un homme de dos (musculeux) y est affublé d’un énorme tutu rose. Un ‘pantutu’ [pantalon-tutu] en mousseline, aussi vaporeux que volumineux, qui lui donne un fessier plus que callipyge. Chaussons rose pâle, en pointe, ses bras sont ouverts à la deuxième position, ou presque. Poignets cassés (tombants) : il ressemble à un oiseau sur le point de s’envoler. Entre clown et ballet classique, Tutu déploie ainsi vingt tableaux, vingt saynètes où s’alternent la grâce et le burlesque. Chorégraphié par Philippe Lafeuille et interprété par six danseurs — David Guasgua M., Pierre-Emmanuel Langry, Julien Mercier, Guillaume Quéau, Vincenzo Veneruso, Stéphane Vitrano —, Tutu (2014) explore la danse par le ressort comique. Un rire contrebalancé par la gracile sensibilité qui émane des mouvements de ces six danseurs masculins.
Tutu des Chicos Mambo (chorégraphie de Philippe Lafeuille) : entre clown et ballet
Conjuguant danse, acrobatie et clown, les six interprètes de Tutu, les Chicos Mambo, revisitent la diversité des styles de danse. Ballet classique, danse contemporaine, danse moderne façon Pina Bausch, Danse avec les stars, gymnastique acrobatique façon Nadia Comaneci, tango, haka (danse guerrière maori préludant aux matchs de rugby néozélandais)… Chaque exercice de style égratigne tendrement, mais énergiquement, un style particulier. Friandise théâtrale, les six danseurs se déguisent pour le rire et le plaisir. Dans un spectacle tenant le milieu entre La Cage aux folles et affirmation transgenre. Autrement dit, oscillant entre caricature, autodérision et revendication. Dans un esprit saltimbanque irrévérencieux, les danseurs sautent d’un costume à l’autre. Autant de variations loufoques et inventives autour du tutu. Pantalon-tutu callipyge, brassière à volants, chapeau pompon moussu, queue de canard… Chaque occurrence met en lumière le grotesque d’une part, et la fascination d’autre part, qu’exerce ce leitmotiv du ballet classique.
Comédie autour des codes de la danse : du rire burlesque à une poésie du grotesque
Attribut réservé aux danseuses, le tutu est un objet ambivalent. Comme le chausson délicat et satiné, sa mousseline dissimule souffrance et discipline, bleus et cloques. Synonyme d’excellence, n’enfile pas le tutu qui veut. Tutu tuteur (façon Michel Foucault), pour l’arborer sur scène il convient d’être une jeune fille belle et mince. Contournant l’interdit, les Chicos Mambo l’enfilent néanmoins. Un acte gentiment transgressif qui déclenche le rire. Mais dans cette déferlante comique, se glissent également des moments où émerge une poésie du grotesque. Visages aux sourires grimaçants, outrés, pirouettes parfaites, pointes légères… Comme ces fresques grivoises dans lesquelles des satyres aux pieds fourchus, aux arrière-trains de boucs, courtisent les nymphes, Tutu capte l’attention. Sauf qu’ici nymphes et satyres se confondent, tout comme les dimensions dionysiaques et apolliniennes. Pour un spectacle à plusieurs strates, comme les tutus ; un spectacle capable de réunir des publics disparates.