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Chez Rosette

Est-ce le lieu qui précède la figure ou bien l’inverse dans cette représentation du ‘maquis’ baptisé Chez Rosette?  Espace de rencontre, à la fois bar et bal-room, auberge et boutique, le ‘maquis’ se définit au cours du spectacle tandis que se succèdent les tableaux et que se précisent les personnages. Les onze interprètes réunis autour de ce projet, qu’ils soient danseurs, acteurs, contorsionnistes ou chanteurs, endossent des rôles bien déterminés qui peu à peu renseignent ce lieu. Le décor, à peine esquissé par une structure en fond de scène, faite d’échafaudages et de draps blancs, est signé par le plasticien Joël Andrianomearisoa.  Squelette mobile, capable de supporter toutes sortes de transformations et d’habillages, cette installation métallique fait face à  la fixité d’un mât autour duquel s’accomplissent d’autres révolutions, modifiant les liens et les contours qui définissent les protagonistes.

Loin des courants autoréflexifs contemporains, la chorégraphie de Kettly Noël s’élabore à partir d’une fiction où domine l’impression d’éclatement, de collages hétéroclites. Sans que l’on puisse distinguer un récit principal, on assiste à une succession de moments de danse, mais aussi de chant et de comédie dont le rapprochement et le tressage génèrent une multitude de pistes de lecture. Cette polyphonie trouve un écho dans le choix des interprètes, aux corps bien singuliers, que ce soit par la taille, la corpulence, la couleur de peau, le sexe, l’âge et même le handicap. Un jeu de contraste s’élabore, mettant en valeur les caractéristiques gestuelles de chacun.

D’un travail de fluidité où la propagation du mouvement se fait par ondulations, on passe à des déplacements au sol inspirés par un paraplégique. Oscillant entre désarticulation et spasmes, les danseurs simulent la paralysie des jambes, qu’ils manipulent comme des objets pour se déplacer. À plusieurs reprises ils explorent debout  la dislocation et le déséquilibre:  les pieds fléchis et le poids du corps sur les talons, les appuis au sol limités à l’extrême, ils jouent les équilibristes. Enfin ils se livrent à des duos plus ou moins sensuels, à des striptease et des lap-dances provocantes …

Érotisé, mis en danger, le danseur traverse des états de corps qui semblent l’unir aux autres interprètes alors même que le texte déclamé ou chanté vise à le singulariser. Il en résulte un phénomène de glissement : l’identité proclamée ou apparente rejoint la fiction ; elle se démultiplie, se fragmente selon l’éclairage. Au gré des costumes, des réagencements de décor ou des différents styles de musique, la danse se colore par imprégnation.
Au-delà d’une remarquable mise en tension de la question identitaire, brassant les clichés qui parasitent notre regard sur la différence (de corps, de peau, de culture, de désir) pour mieux les abolir,  Chez Rosette assume avec une intégrité rare la charge sexuelle contenue dans la danse. Qu’elle soit contemporaine, africaine, ou populaire, la danse qui se déploie au maquis apparaît avant tout pour ce qu’elle est, un formidable vecteur de rencontre et de mise en scène du désir.

— Chorégraphie et mise en scène: Kettly Noël
— Direction artistique: Kettly Noël accompagnée de Joël Andrianomearisoa
— Interprétation: Nicolas Bachet, Margot Bidas-Matrat, Mohamed Coulibaly, Bokar Dembele, James Germain, Aly Karembe, Ousmane Koné, Kettly Noël, Balla Oulé Keita, Souleimane Sanogo, Kader Lassina Touré

 

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