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Chers os

«Chers Os,» est l’incipit rageur et ironique de cette missive, avec la virgule qui place dans l’expectative, la virgule qui place au bord du gouffre, la virgule qui sait, d’un coup sec, expédier sans autre forme de procès les os et les chairs dans l’au-delà.

L’amour, l’innocence de l’enfance, la candeur tiède des étés aux ciels étoilés, l’extase que procurent les choses de l’esprit, l’art, la connaissance, autant de concepts devenus caduques depuis ce funeste XVIIe siècle, durant lequel quelques lucides Flamands s’échinèrent à nous ratiboiser le bonheur, arguant sans trêve que Vanitas vanitatum, omnia vanitas. Vanité des vanités, tout est vanité. Ainsi passe la gloire du monde, paraît-il.

Mais Philippe Mayaux ne l’entend pas ainsi. Furibond, il s’insurge. L’exposition «Chers Os,» est ce cri indigné de celui qui s’offusque de ce que l’inéluctabilité de la mort vienne sempiternellement lui gâcher ses plaisirs, laissant planer son ombre mortifère sur les plus exquises joies. Voici donc rassemblées quelques réminiscences éparses de l’artiste, frappées du sceau de la mort à venir. Un album souvenir en chair mais surtout en os, aux noms familiers, Hervé, Matt, Lilou, Antonin, et les autres.

Triptyque pictural, trois enfants déguisés en squelettes pour quelque événement carnavalesque prennent des allures menaçantes, troquant leur sourire innocent contre un ricanement hostile, toutes dents dehors. Les visages grimés, figures blanches et orbites noires, crânes saillants en gros plan, effraient.

A côté, autre motif enfantin, une machine à sous : en son sein, deux sombres têtes, une de Dieu et une du Diable, rient à gorge déployée tandis que des billets, vanité de l’argent, voltigent autour d’eux.
Une horloge sous cloche, de type de celle que l’on contemplait enfant, se mue en infernale métaphore du temps qui passe. Le CÅ“ur de Madame de… est un pendule au balancier remplacé par une vulve, qui va et vient, représentation de la versatilité de l’amour féminin et de la futilité de la chair.

Autre vanité s’il en est: l’art. Reproduisant un tableau de Piet Mondrian en lui adjoignant une ossature, Philippe Mayaux met en exergue la structure invisible à nos yeux, celle des os, celle des choses périssables.
Un tableau figure un homme au visage désossé, les chairs flasques, se délitant telles les montres molles de Salvador Dali.
Rigide, elle, une installation présente une structure en métal reproduisant notre anatomie, les organes remplacés par des cloches en verre contenant de fragiles éléments : nous sommes bien peu de choses semble dire cette sculpture au matérialisme aussi glacé que les théories d’un La Mettrie.

Car la mort plane, même au-dessus des plus adorables entités. La chevelure d’une fillette se pare de papillons et de fleurs, tableau charmant derrière lequel se tapit le spectre des êtres éphémères. Car la fillette, la fleur ou le papillon, aussi enchanteurs qu’ils soient, sont condamnés au même dénouement mortel.

Les entrailles, sièges de la vie et de l’amour, réduites à leur condition de salmigondis rouges et labyrinthiques, exhalent leur puanteur de soufre. En lettrage subliminal sur ces tableaux convulsifs est écrit «Come to Daddy», «Play With Freddy» et «Cry For Mummy».
Derrière les joies du sexe, se cachent la trinité infernale et psychanalytique des rapports malsains enfant-parents. Avec, en embuscade, le fantôme de l’ami imaginaire et angoissant, Freddy.

Philippe Mayaux développe une lecture subliminale, de l’autre côté du miroir, injectant du morbide dans chacune des images de la vie, jouant sur les multiples lectures de l’image (par exemple, le mot Mummy ne signifie-t-il pas à la fois maman et momie ?). Adjurant à ses «Chers Os» de le laisser, enfin, tranquille.

Liste des oeuvres
— Philippe Mayaux, Un raccourci (Ambre), 2009. Tempura sur toile. 27 x 22 cm
— Philippe Mayaux, Un raccourci (Antonin), 2009. Tempura sur toile. 27 x 22 cm
— Philippe Mayaux, Un raccourci (Lilou), 2009. Tempura sur toile. 27 x 22 cm
— Philippe Mayaux, Le Cœur de Madame de…, 2010. Technique mixte, 30 x 30 x 50 cm
— Philippe Mayaux, La Flaque (Matt), 2009. Tempura sur toile. 22 x 27 cm
— Philippe Mayaux, Madame de… (L’écorchée), 2010. Technique mixte, 180 x 80 x 40 cm
— Philippe Mayaux, L’Union (Nathalie), 2009. Tempura sur toile. 33 x 24 cm
— Philippe Mayaux, L’Antigel (Hervé), 2009. Tempura sur toile. 33 x 24 cm
— Philippe Mayaux, La Décoiffeuse (Margot), 2009. Tempura sur toile. 27 x 22 cm
— Philippe Mayaux, Come to Daddy, Play with Freddy, Cry for Mummy, 2009. Tempura sur toile. 40 x 30 cm
— Philippe Mayaux, Kirivert, 2010. Technique mixte. 200 x 110 x 60 cm
— Philippe Mayaux, Les Choses de l’esprit, 2009. Tempura sur toile. 34 x 27 cm

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