ART | EXPO

Chers os

22 Jan - 06 Mar 2010
Vernissage le 21 Jan 2010

La chair, les os, les masques mortuaires de carnaval... Autant de memento mori dont Philippe Mayaux semble s'amuser dans ses oeuvres.

Communiqué de presse
Philippe Mayaux
Chers os

Chers os,
En feuilletant son album photos, celui qui retrace, à travers toute une galerie de portraits, le déroulé de son vécu, ma chair s’est plainte de vous. A première vue, elle trouvait jusque-là l’existence belle, pleine de victuailles et de nectars, remplie des plaisirs de l’amour, de rires partagés. Elle aimait à se tremper dans la tiédeur des douces effluves de la satisfaction personnelle et de l’insouciance collective. Et vous, froidement, qui cherchez à contrarier tout ça !

Par votre faute, elle se sent désormais affublée du don inutile de l’éphémère en regardant son reflet pâlot dans le miroir noir de vanité que vous lui tendez chaque jour. Par cette présente, elle me charge donc d’exprimer sa peine et de vous transmettre tous ses regrets de vous voir lui gâcher son élan en la faisant trébucher sur vos formes emmêlées. Mais cette fois-ci, elle n’en rit plus !

Avouez que c’est usant ! A se demander s’il n’y a pas au fond de vous cette volonté acharnée et préméditée de nuire à l’importance de ses actes, de ses passions, en ne retenant d’eux que de simples traces sur l’argile d’une mare. De toutes les manières, avec vous, tout finit toujours de la même façon: en fossile ! Pourquoi lui gâter ses illusions ? Voulez-vous la laisser sombrer dans la mélancolie de la vie coite et de sa nature mortelle ?

Sans chercher bien longtemps dans l’album, on peut trouver les preuves affligeantes de vos méfaits. Prenons l’exemple de ces trois photos d’enfants déguisés pour l’occasion en crânes de Carnaval. Ce souvenir sentait bon l’innocence et pourtant, une fois les cotillons envolés, que lui laissez-vous au final comme métaphore ? L’image d’un raccourci menant de l’enfance à la mort sans passer par la casse «Je la vie !»: une parenthèse entre l’eau et la terre.

Encore un exemple, facile. Le portrait d’une adolescente qui se faisait coiffer pour la première fois par un vrai professionnel un soir d’été au ciel transparent. Ses longs cheveux lui voilaient le visage. L’instant était frais, marquant, puisqu’à l’arrière-plan une étoile filante surprit le preneur de vue, fixant pour une relative éternité cette micro seconde délicate. Mais quelle ne fut pas la consternation lorsque, au rendu, dans les reflets mouillés de la coiffée, votre tête déboula inopinément – en plein coeur de cet instant d’espoir. Croyez-vous que ce soit drôle à vivre, ça ?

Allez ! Un dernier ! Remontons à cette nuit où deux des amis admiraient dans une parfaite harmonie le jeu merveilleux du hasard sur une giclée d’eau. Le photographe sut parfaitement capter la matière en train de se déliter dans l’épaisseur de l’air. Et là, qu’y vit-on ? Encore vous, tapis dans les méandres du dessin des gouttes. On pourrait ainsi multiplier les cas où, par votre présence même, vous troublez de larmes la beauté qu’elle admire dans ces visages aimés alors qu’ils se vident de leur eau de jouvence. N’en reste qu’une flaque qui esquisse un reflet fragile, sensible au courant d’air. A la moindre occasion, il faut absolument que vous vous manifestiez intempestivement. Dans la moindre tache, dans la moindre volute de fumée, dans l’infime éclat du verre, il vous faut exhiber vos crânes. Il est vrai que votre représentation est aisée. Deux trous, un triangle et la figure apparaît… Dès que l’esprit de la chair tente de s’exprimer ; il n’en sort plus de lui que vous-mêmes : du calcaire !

C’est assez ! Je vous demande de laisser la chair en paix. Il suffit d’être systématiquement contre tout ce qu’elle entreprend de beau, contre ses mouvements, ses utopies, de rendre tout cela si dérisoire ! Le vent, les dieux et son argent ne pourront plus rien pour elle. Alors, arrêtez de crâner pour une fois ! Laissez-la faire sans vous. N’oubliez pas enfin que vous-mêmes, chers Os, finirez dans une boîte à poussières, mais pas d’étoile cette fois-là.

A bon entendeur, salut.
Marcel Toussaint.

critique

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