ART

Charles Sandison

PCéline Piettre
@27 Jan 2010

Sous l’égide du philosophe Wittgenstein auquel il emprunte le titre de sa série, Commentaires sur la couleur, l’artiste finlandais transcrit en langage numérique les théories qui lui passent sous la main. De là naît une œuvre aux airs de carnaval, parade colorée et jubilatoire dont le flux intense imite la vie.

Charles Sandison écrit avec la lumière. Ses «toiles» numériques reposent sur des programmes informatiques capables de générer à l’infini des serpentins de mots colorés, bribes de langage dont la structure est parfois réduite à son unité première: la lettre.
Quand ils existent donc, les mots se heurtent et se chevauchent, suivent une trajectoire puis une autre, disparaissent dans le hors-cadre, avalés par l’écran LCD qui leur sert de support. Réunis en colonnes ou en bouquets, ils explosent par saccades, grouillent, dégringolent en pluie ruisselante ou s’élèvent en grappe — communauté de signes plus ou moins signifiants, mue selon une logique à priori aléatoire.
Très souvent, cette forme mouvante se propage sur les murs — comme ici chez Yvon Lambert — allant jusqu’à envahir une pièce entière, saturant l’espace de couleurs…

Ainsi désorganisée, transformée en matière colorée, instable, la langue perd de son caractère autoritaire, celui-là même qui «oblige à dire, à classer» et que Roland Barthes n’hésite pas à comparer à un fascisme, à l’occasion de sa leçon inaugurale au Collège de France en 1977.
Libérés de leur prison grammaticale, les mots, résolument poétiques, évoquent plus qu’ils ne racontent. Et s’il est vaguement question de champ magnétique et de forces gravitationnelles, de mer, de ciel… ou de la récurrence de certains termes, le mouvement et la couleur, confusément mêlés, prennent le dessus sur le sens.

La nature de ce mouvement, justement, est l’autre intérêt de l’œuvre de Charles Sandison. Généré par ordinateur, pure synthèse informatique, il s’apparente singulièrement au vivant. Pour preuve, le fourmillement des mots tels des spermatozoïdes sous l’œil grossissant du microscope. Ou plus explicite encore, ces groupes qui se multiplient comme les cellules pendant la mitose… Enfin, parcourant le plafond et les murs d’une des salles de la galerie, un serpentin de lettres rouge vif circule avec la vitalité du flux sanguin, pression intense et ininterrompue…

Cette ambiguïté entre le naturel et l’artificiel, le vivant et la machine, en annonce une autre: celle qui sépare la forme expressionniste, émotive, presque gestuelle de cette «touche numérique» et la main froide du code informatique qui la engendrée.

De quoi bouleverser notre vision binaire de l’objectif et du subjectif, de l’art et de la technologie. Depuis sa Finlande lointaine, l’artiste épris de lumière (d’où son intervention récente au Musée de l’Orangerie en regard des Nymphéas de Monet) révèle la poésie des sciences exactes et leur puissance créatrice.

Liste des œuvres
Charles Sandison
— Charles Sandison, Remarks on Color 3 (blackish brown), 2010. Computer code on LCD screen. 43.31 x 25.98 x 5.12 in (110 x 66 x 13 cm). Edition 1/5 + 1
— Charles Sandison, Remarks on Color 2 (more yellowish more whitish or more reddish), 2010. Computer code on LCD screen. 43.31 x 25.98 x 5.12 in (110 x 66 x 13 cm). Edition 1/5 + 1
— Charles Sandison, Remarks on Color 1 (bluish yellow reddish green), 2010. Computer code on LCD screen. 43.31 x 25.98 x 5.12 in (110 x 66 x 13 cm) Edition AP1/5 + 1 AP

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