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Charles Fréger. Bleus de travail

Portraits de jeunes gens sur leur lieu de travail. Des photos posées, presque hiératiques, inexpressives, si ce n’est qu’elles sont reliées entre elles par la présence systématique d’un habit de travail (le bleu). Fréger capte la personnalité de chacun par la manière dont ils s’approprient cet uniforme dépersonnalisant.

— Éditeurs : POC, Rouen / Frac Haute-Normandie, Sotteville-lès-Rouen
— Année : 2003
— Format : 21 x 27 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 111
— Langues : français, anglais, allemand
— ISBN : 2-915409-00-5
— Prix : 29 €

Faire image (dans moi-peau)
par Charles-Arthur Boyer (extrait, p. 103)

Entre le plan du projet créatif, celui où opère un artiste, et celui de la réception de l’œuvre, il y a une faille dont plus personne ne semble se soucier. Les photographies de Charles Fréger sont comme les peintures des Primitifs italiens, pleines d’audace et de courage : d’audace à représenter la personne humaine ; de courage à en incarner le visage. Pourtant, quand ils peignaient un tableau, ces derniers ne cherchaient seulement qu’à peindre un tableau. Charles Fréger est profondément photographe, juste photographe.

Dans les portraits qu’il réalise depuis plusieurs années déjà, les personnes se tiennent là, debouts, presque hiératiques, avec une présence qui échappe au cadre propre à la photographie, comme si, au-delà de la commande ou du rendez-vous que leur avait donné l’artiste, elles s’étaient convoquées elles-mêmes à faire image, à faire l’image. « Part risquée d’une exposition et partage d’une conscience. » (René Denizot) Mais, devant ces mêmes portraits, que voulons-nous voir ?, ou que devons-nous lire ?… Rien ou presque ; et tout, à la fois. Rien, parce qu’à la surface de l’image, il n’y a que cette répétition, cette succession, cette logique de groupe dans laquelle Charles Fréger inscrit toutes ses séries de photographies, et cela selon un protocole immuable. Tout, parce que dans cette mise en (uni)forme s’affirment immédiatement les regards qui nous font face, les visages avec leur géographie ou leur territoire d’inscription, les corps avec leurs marques ou leurs blessures incarnées, les contextes en arrière-plan à la fois prosaï;ques et familiers.

Mais ce qui excède surtout l’image — avec un trouble certain dans Bleus de travail —, c’est cette façon dont chacun « vit et travaille » l’uniforme, « leur » uniforme : neuf, repassé ou usé, déchiré, maculé, fermé, ouvert ou roulé, recouvert ou découvert, serré ou flottant, trop court ou trop long ; cette façon dont ils s’en démarquent ou s’en distinguent ; cette façon dont le temps (même s’il est à la fois, pour chacun d’entre eux, trop long et trop court) et l’usage viennent le dé/former et presque le dé/coller de leur propre peau.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Frac Haute-Normandie)

L’artiste
Charles Fréger, né en 1975, est diplômé de l’école des beaux-arts de Rouen en 2000.

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