Pour son exposition Chantier. Il n’y a rien à voir à 2 pièces cuisine, Miguel Angel Molina (MAM) a recouvert de plastique l’appartement de Jérôme Rappanello. Presque tout — les meubles, les portes et les poignées, les murs, les fenêtres, le four, le lit, la lampe de chevet, la télévision, la bibliothèque, le bureau et l’ordinateur — a été recouvert d’un film transparent. Rien n’a été omis excepté les plafonds.
Ce chantier, où le peintre en bâtiment se conjugue avec l’artiste, prend pour prétexte de rafraîchir un appartement encrassé par la fumée de cigarette. Dans le prolongement de l’exposition De singuliers débordements, à la Maison de la Culture d’Amiens, où MAM a exposé une flaque de matière colorée, il a ici choisi de peindre le plafond, pour briser une nouvelle fois avec la verticalité.
La peinture du plafond donc, mais seulement après l’exposition. Pour l’heure le visiteur et son hôte sont baignés dans une large poche fantomatique de bâches en plastique, que les courants d’air soulèvent légèrement. Le dispositif de ce chantier à la fois masque l’espace et le met en lumière.
Ce qui est présenté, c’est l’avant-exposition que les galeries et musées soustraient ordinairement aux regards. C’est ce moment où l’on met en scène la future exposition. Par ce hors champ, Miguel Angel Molina met en lumière le fonctionnement de l’exposition comme pratique culturelle et comme moyen de monstration, tant artistique que commercial ou même religieux.
Chantier. Il n’y a rien à voir se situe donc dans le cadre d’une mise en question de l’exposition, en référence aux œuvres de Marcel Duchamp, Andy Warhol, Marcel Broodthaers, Daniel Buren ou encore au travail plus récent du photographe et critique d’art Pierre Leguillon.
A la demande MAM, Jérôme Rappanello a filmé de nuit, dans le noir, son l’appartement, tout en le décrivant. Un film «aveugle» avec parole (en référence à Wochenende réalisé en 1930 par Walter Ruttman), comme l’envers des films muets, avec images. Cela en guise de prélude à une exposition sans œuvre.
Dans le noir, Jérôme Rappanello nous conte, sous la forme d’une sorte de catalogue parlé et aveugle, l’histoire de quatre années actions artistiques, d’une vingtaine d’expositions dans son appartement devenu un lieu de l’art contemporain à Paris.
Cette opération montée par MAM apparaît comme un geste dépersonnalisé, une autre dissimulation. Elle s’inscrit dans le droit fil des orientation de l’Agence de superpositions dont les statuts stipulent que, « dans une volonté complémentaire à l’exhibition, la dissimulation peut être aussi une stratégie de monstration par l’occultation». L’Agence de superpositions a pour but d’animer et d’expérimenter des mises en scène de productions artistiques.
En 1997, MAM avait installé des «galettes» de peinture sous vide dans le rayon charcuterie d’un supermarché de Barcelone ; en 1999, il avait placé de la matière expansée sur une table sur un mur ; en 2002, il avait installé une main courante maculée de peinture entre le salon et la chambre du 2 pièces cuisine. Aujourd’hui, la peinture toujours très colorée de Miguel Angel Molina recouvre des rampes, des radiateurs, des poignées de portes, des barrières de chantiers, etc.
Appliquée en épaisseur elle devient tactile, ce que l’usage de ces objets invite à éprouver. Nouvelle mise en espace, nouvelle identité : la peinture n’est plus exposée, avec son support elle se fond dans notre environnement. Sur ces supports, la peinture est exposée à l’insu. Elle donne lieu à une perception distraite, plus proche de la matérialité et de la sensualité de la peinture.
Installation Chantier. Il n’y a rien à voir à 2 pièces cuisine, appartement-galerie. Bâches en plastique transparent, vidéo.