Parce que ce film est avant tout un film sur ma mère, ma mère qui n’est plus.
Sur cette femme arrivée en Belgique en 1938 fuyant la Pologne, les pogroms et les exactions. Cette femme qu’on ne verra que dans son appartement et uniquement là .
Un appartement à Bruxelles.
Une mère tout le temps quittée et retrouvée après de longs voyages par l’une ou l’autre de ses filles, ma sœur et moi.
C’est donc un film sur ma mère, mais pas seulement.
Entre les plans, les moments passés avec elle, il y a les moments au loin, dans des terres parfois arides.
À chaque fois, un peu moins bien. Jusqu’à ce qu’elle n’arrive presque plus à nous.
Ce film est un film sur le monde qui bouge et que la mère ne voit pas, elle qui ne bouge presque plus de son appartement.
Et pourtant, le monde du dehors est bien là , il s’insinue entre les plans de l’appartement, comme la touche jaune d’un tableau qui fait exister tout le reste de la toile.
C’est aussi un film d’amour, un film sur la perte, parfois drôle, parfois terrible. Mais, avec un regard qui garde une juste distance, je pense.
Un film où se fait une transmission, discrètement, presque l’air de rien, sans pathos, dans une cuisine de Bruxelles.
Bien sûr, pour l’instant, c’est un film brut, comme on parle d’art brut. Il ne faut surtout pas rendre lisse. Il en perdrait de sa force.
Le film est parfois maladroit, mais ici, la maladresse est un plus.
Le film vagabonde sans qu’on sache vraiment où il va. Et pourtant il ne peut nous mener qu’à une seule chose, la mort.
La mort de la mère, on ne la verra jamais.
Seul l’appartement, désormais vide, en parle en silence.
Chantal Akerman