ÉCHOS
19 Juil 2012

Changer le regard sur les arts plastiques

PDavid Raffini
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Disons-le clairement: la gauche socialiste donne quelque fois le sentiment de ne pas voir le sens et la portée exacte du secteur des arts plastiques. Méconnaissance profonde de la place et de la fonction des institutions d’art contemporain dans notre pays. Il faut qu’un changement de focale ait lieu, c’est urgent, afin que nos élus retrouvent une vision plus juste et plus... prometteuse!

La promesse écrite au Syndeac par le candidat François Hollande de dégeler les crédits de la création a été partiellement tenue par Mme Filippetti juste avant l’ouverture du Festival d’Avignon : les 23,5 millions d’euros des institutions du spectacle vivant ont été arrachés à Bercy, tandis que le 1,5 million correspondant à l’ensemble des structures d’art contemporain a été différé en une nouvelle promesse, automnale cette fois, promesse réitérée le 5 juillet par la ministre à l’inauguration du nouveau Frac Bretagne. Elle s’efforcera de trouver ce million et demi qui, a-t-elle déclaré, ne représente effectivement pas tant que ça… Malheureusement, il n’est que trop évident que cet oubli, ainsi que son hypothétique rattrapage, «représentent» bien plus qu’une simple maladresse. Ils révèlent sans doute une méconnaissance profonde de la place et de la fonction des institutions d’art contemporain dans notre pays.

Disons-le donc clairement: la gauche socialiste donne quelque fois le sentiment de ne pas voir le sens et la portée exacte du secteur des arts plastiques. La première raison vient de l’histoire même du projet d’émancipation par l’art et la culture, qui est d’abord pour elle un héritage de la formidable aventure du spectacle vivant initiée par Jean Vilar. De cette aventure, de ce grand projet d’éducation et de transmission de savoirs par l’art au profit du mieux vivre des individus et du groupe, les arts plastiques sont fondamentalement écartés.

L’art contemporain n’est-il destiné à apparaître, alors, que comme une affaire de placement, de défiscalisation, de mécénat, en somme de «grosses valeurs»? Les Frac eux-mêmes n’auraient-ils été institués au début des années 1980 que pour éviter de passer à côté des chefs-d’œuvre que toute grande nation se doit de posséder? Le cas échéant, la finalité première (et dernière) de l’art contemporain se trouverait alors, non dans les idées de Duchamp, de Filliou ou de mille artistes vivants, mais chez François Pinault! Mais comment, avec un tel point de vue, légitimer foncièrement le travail de médiation que font les lieux de diffusion de l’art en direction de tous les publics? Comment considérer les expérimentations innombrables que les centres d’art permettent à des jeunes artistes afin d’inventer des modes inédits de questionnement sur les déterminations sociales qui nous conditionnent, dont la principale est justement la Valeur? Comment estimer vraiment la formation et l’émancipation intellectuelle et sensible offertes par les écoles d’art à d’innombrables individus qui ne courent assurément pas tous vers le star-system?

La seconde raison consiste à ne reconnaître les activités artistiques qu’à travers le filtre du spectaculaire, du visible, de l’événementiel, que sont des variantes de la valeur. L’art, avant d’être un espace privilégié de la pensée, devrait servir à l’animation des grands centres urbains, ou être porté par de grandes institutions ou expositions médiatiques. Depuis dix ans, les gouvernements qui se sont succédés n’ont fait qu’amplifier cette tendance, à Paris ou dans les capitales régionales. Or le réseau des structures d’art contemporain a, dès les années 1980, été pensé à l’opposé de tout centralisme: il est l’émanation d’une vision dont on reparle désormais, mais dont on se demande bien si elle va être relancée comme il faudrait: la décentralisation. Si le dégel des arts plastiques ne devait pas avoir lieu, c’est bel et bien à une vision décentralisée que la gauche portera le premier mauvais coup.

Le non-dégel des arts plastiques, pour qu’il ne reste pas un acte manqué incompréhensible, et pour qu’il ait la moindre chance d’être réparé, exige que le nouveau gouvernement change ses lunettes de manière radicale: oui l’émancipation, la recherche et la formation sont au cœur des arts plastiques, et n’ont peut-être pas de meilleur contexte de développement aujourd’hui que dans les arts visuels. Oui, ce pays ne pourra redémarrer qu’en renforçant les acteurs qui, dans les régions, construisent les conditions d’un «vivre ensemble» qui n’oublie personne et surtout pas ceux de nos concitoyens qui sont loin de tout.

Nous savons donc que le million et demi qui doit revenir aux arts plastiques représente à la fois peu et beaucoup. Car les professionnels de l’art contemporain mesurent pourquoi, depuis tant d’années et au contraire des autres secteurs de la création, il leur est si difficile d’obtenir une reconnaissance sociale et politique digne de ce nom (convention collective, statut, dégel…). Ils se mobiliseront dans les mois qui viennent pour qu’une politique claire et ambitieuse des arts plastiques soit définie, sur la base d’une réévaluation radicale du sens que l’on donne à l’art contemporain et à l’engagement artistique. Il faut qu’un changement de focale ait lieu, c’est urgent, afin que nos élus retrouvent une vision plus juste et plus… prometteuse !

Emmanuel Latreille
Directeur du fonds régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon
Président du CIPAC, fédération des professionnels de l’art contemporain

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