Les textes de Robert Walser, petites proses, nouvelles, contes, romans, dialogues de théâtre, répondent à une subtile alchimie: détachement et légèreté, emportement et lucidité, délicatesse et extrême pudeur. Rédigés sous forme de microgrammes, quelques 526 feuillets couverts d’une écriture minuscule au crayon ont révélé, grâce au travail patient et acharné de deux germanistes, un pan bouleversant de la création de cet auteur suisse qui a fini sa vie dans un asile.
Change or Die est le deuxième volet d’un diptyque entamé par Avant-propos, un récit dansé, en 2011, dans le cadre du festival «Paris Quartier d’été». Le Théâtre de Monfort reste fidèle au binôme franco-espagnol Roser Montilo Guberna et Brigitte Seth qui s’appuie pour cette nouvelle création sur des textes rédigés entre 1906 (Les Enfants Tanner) et 1920 (Rêveries et autres petites proses).
La pièce démarre par un monologue saisissant, une lettre de motivation signée et livrée telle quelle par un Robert Wenzel conjugué au féminin. Le ton est donné. Des intonations trop appuyées, des mimiques clownesques et des gestes manqués avancent une grille de lecture fortement empreinte d’un humour tragi-comique, à la noirceur certes assumée. Une fois ce cap fixé, la scénographie et la prestation des interprètes viennent le réconforter avec une grande cohérence.
Emmanuelle Bischoff signe des décors minimalistes qui reprennent les codes du noir et blanc et renforcent le sentiment d’assister à une comédie du cinéma muet: ainsi cette avancée menaçante des tringles chargées de housses blanches et vides de costumes, suivie de leur ballet fantomatique qui dit, au-delà des mots, une uniformité glaçante, l’effacement et l’absence sans appel des corps. L’armada de domestiques qui s’affèrent dans tous les sens, courent, bougent en sautillant comme dans un rêve, téléguidés, semblent tout droit descendus du roman de Robert Walser L’Institut Benjamenta (Jakob von Gunten édition, 1909). Ils nous livrent un astucieux numéro de revue. Leur vaine agitation évoque la frénésie qui régit la circulation des marchandises et la course effrénée d’un capitalisme détraqué qui engendre une gesticulation sempiternelle et des comportements imbéciles de la part de ses acteurs, êtres suspendus, accrochés aux tringles, perdus parmi les enveloppes vides, essoufflés, vaincus d’entrée en jeu.
Plus que les monologues tirés des écrits de Walser, ce sont ces intermèdes dansés qui brossent un sombre paysage de l’état du monde politique, social, économique, idéologique.
Roser Montilo Guberna et Brigitte Seth ont recours à la soupape de l’humour, pourtant le tour de force auquel elles se contraignent est trop démesuré. La pièce devient vite laborieuse. Il y a dans les écrits de Robert Walser quelque chose qui résiste, qui ne se laisse pas assimiler, et un certain malaise s’installe.