Depuis le début 2007, Michèle Chomette a renoncé aux expositions monographiques pour transformer sa galerie en laboratoire. Son projet ? Faire apparaître des rapports inédits entre des images que tout sépare, entre des artistes aux approches et aux thématiques très éloignées. Du moins de prime abord. Car l’expérience confirme cette loi : une image ne se dévoile que dans la vision d’une autre. N’en changer qu’une, et toutes révèlent des affinités insoupçonnées.
L’exposition en cours étend ce procédé en convoquant dans la photographie d’autres types d’images, et avec elles, d’autres manières de voir : la peinture, avec l’hommage à Courbet de François Méchain, le thème des vanités et l’anamorphose du crâne à la Holbein chez Joachim Bonnemaison, dont la Vanité de Bacchus évoque aussi les images des lanternes magiques ; le cinéma, chez Alain Fleischer et Paolo Gioli, qui conjuguent enchaînement des images et saccades de la perception ; les écrans informatiques, tirés de la communauté virtuelle Second Life chez Robert F. Hammerstiel ; la page imprimée du livre chez Éric Rondepierre qui de plus, par superposition d’images dans l’image, déçoit et exacerbe le désir de voir une forme nette.
Où donc est la photographie ? À croire qu’il lui faut se résoudre au négatif, non au sens matériel, mais au sens de négation de son évidence mimétique, pour avoir des chances d’apparaître. Ce serait toutefois se laisser prendre au piège, et oublier l’essentiel : le pouvoir qu’a la photographie de produire cette confrontation d’univers aussi variés d’images et d’imaginaires, cette capacité d’intégration de la multiplicité formelle et plastique dans l’unité matérielle d’une seule et même photo.
Positivité de la photographie donc, qui tient d’abord aux inventions techniques autorisant toutes ces manipulations : la Vanité de Bacchus suppose un dispositif rotatif pour faire défiler la pellicule autour des objets. Que serait l’onirisme du Dernier Jour et de l’Autoportrait double de Felten et Massinger sans la caravane qui leur sert de chambre-noire ? Quant aux séquences extraites du Film en six tableaux d’Alain Fleischer, elles doivent leur rendu «cinéphotographique» à la projection de filmogrammes sur un écran sensible noir et blanc.
Positivité de la photographie aussi quand elle substitue à la fiction de l’image nette et figée l’image réelle, l’image ressentie, comme le Fuzzy Man de Nancy Burson, tenant tout à la fois du rêve, de l’apparition et de l’hallucination ; ou encore l’image éprouvée dans la vérité et la tension des mouvements de l’œil et du corps, telles les Effractions V et X de Hervé Rabot.
Le laboratoire de Michèle Chomette ? Une chambre noire lumineuse, où l’on désapprend à voir pour mieux regarder.
Éric Rondepierre
— Rixe, série Parties communes, 2006/2007. Photographie couleur, tirage Ilfochrome marouflé sur aluminium avec chassis arrière 120 x 160 cm.
Hervé Rabot
— Effraction, 2002/2003. Photographie couleur sous Diasec, marouflée sur aluminium, 80 x 80 cm.
François Méchain
— La ligne de partage : homage à Gustave Courbet. La Grande Porte, Bussac-sur-Charente, France , 2002 ; polyptyque de 8 photographies couleur marouflées sur aluminium avec barres métal d’accrochage au dos, 50 x 388 cm. In situ, 2002 ; sculpture éphémère : portières de voiture, peinture sur plexiglas, ray-grass et vent fort, 12 x 4 x 2,30 m.
Paolo Gioli
— Volto Attraverso le proprie mani, 1996-2001. Fotofinish sur papier argentique, 20 x 45,4 cm.
Robert F.Hammerstiel
— Instant Vacation III, série Second Life, 2007. Photographie couleur, tirage C-Print marouflé sur aluminium, cadre boîte, verre acrylique, 45 x 60 cm.
Alain Fleisher
— Un film en 6 tableaux (extrait), Version B, 1998. Séquence de 2 filmogrammes par projection cinématographique 16 mm sur écran sensible noir et blanc. Diptyque d’époque sur papier argentique , 51 x 60 cm chacun,
Joachim Bonnemaison
— Vanité de Bacchus, 2006-2007. Œuvre photographique circumpanoptique couleur, impression jet d’encre sur papier marouflée sur aluminium et encadrée, 45 x 201 cm.