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Champion Métadier. Entertainment Systems

Peintures faites d’aplats où les pigments se mêlent, taches colorées à la Miró, grands formats sans cadre. L’œuvre de cette artiste cosmopolite bouscule les perceptions : formes et couleurs pures semblent douées d’une vie autonome.

— Éditeur(s) : Musée des Beaux-Arts de Caen, Caen
— Année : 2002
— Format : 29 x 24,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Page(s) : 101
— Langue(s) : français, anglais
— ISBN : 2 901296 16 5
— Prix : non précisé

Vive la peinture nomade !
par Ann Hindry (extrait, p. 17-18)

Les peintures de ces trois dernières années de Champion Métadier ne s’expérimentent en aucun cas comme des images fixes à éventuellement contempler en plusieurs fois, mais bien comme des passages mouvementés à revisiter, si possible en boucle. La notion de cadre découpé dans l’espace du monde s’estompe au profit de l’expérience de l’espace d’un monde. Les figures sont nomades, elles circulent dans notre panorama visuel et mental sans s’arrêter, sans jamais se déterminer complètement mais en laissant toujours ressortir, au dernier moment, quelque chose de neuf, d’inattendu, d’oublié, de sorte que l’expérimentation sensuelle et jubilatoire redémarre sur une autre trajectoire. Leur vitesse d’exécution, auto-infligée par le mode d’élaboration choisi par l’artiste, est perceptible dans le tableau fini. Celle-ci déverse en effet sur la toile vierge, posée à plat, un liquide industriel de la famille des plastiques, qu’elle a pigmenté (ou non) auparavant. Le liquide épais s’installe progressivement en s’étalant et durcissant tandis qu’elle surveille son devenir morphologique en manipulant la toile toujours horizontale. Lorsqu’une première forme convient, l’artiste répète l’opération avec un nouveau dépôt. L’équation serrée du parcours naturel des ingrédients et du dessein prééminent mais non prédéterminé de l’artiste contribue à la tension qui subsiste sensiblement dans le tableau, d’autant plus que les coulées solidifiées qui font les formes continuent de « travailler » physiquement, de se modifier imperceptiblement après l’achèvement et la mise à la verticale.
Cette construction par étapes de la forme centrale, toujours constituée, donc, de formes subordonnées repérables, participe de la suspension des sens qu’expérimentera plus ou moins consciemment le spectateur devant l’œuvre arrêtée car la configuration impérative (et parfois impériale) de la figure n’oblitère jamais l’imminence intrinsèque de sa dissolution. Ce qui se donne à voir en profilant l’ensemble de ses éléments au regard le fait dans l’instant de son éclatement possible. Nomadisme encore. Cette articulation magistrale de formes constitutives à la fois indéfinissables et précises, picturalement autonomes, revendiquant une facture individualisée, et néanmoins assujetties à une configuration holistique imparable, est une des grande forces de ces séries (L’Après-midi avec Marcel en est un exemple parfait, qui allie les tâches coulées aux formes quasi sculpturales, aux ronds et aux traits). En quête de repères, on ne peut s’empêcher de penser aux accomplissements du collage surréaliste et d’y voir une résurgence indépendante réussie.
Les formes majeures sont d’ailleurs dans la veine de certaines voies explorées par ces derniers, oscillant entre les machines à la Picabia et le blomorphisme à la Miró ou Tanguy. Quoi qu’il en soit, celles-ci se tracent leur propre espace en volume par un fréquent mouvement d’enroulement, mené presque à terme (comme pour L’Agneau mystique, le « Percolateur » ou le Merry-go-round) ou bien simplement esquissé. Elles sont toujours en léger déséquilibre, comme saisies dans une infime séquence de leur passage dans le halo de couleur qui les cadre. La vivacité de ce tournoiement virtuel, ce contraste permanent et tendu de l’envol de la forme et de son enfouissement, tient également au rapport qu’elle entretient avec son (non-) fond. Celui-ci n’est pas un fond dans la mesure où il vient s’inscrire après, et autour de la forme. Même si la chronologie n’est pas objectivement visible, elle est perceptible dans l’appréhension non hiérarchisée que l’œuvre propose.
En d’autres termes, la grande plage de couleur monochrome qui entoure et isole la figure a, elle aussi, son autonomie. Le procédé n’est, en soi, pas inédit (Mondrian, pour ne citer que lui, l’a utilisé de sorte que le plan du tableau garde une cohérence sans que les grilles ne fassent figure). Isabelle Champion Métadier, quant à elle, déploie avec délectation une gamme de rectangles aux cou leurs subtiles, suaves ou acidulées, à la fois éclatantes et sophistiquées. Le long travail répétitif qu’elle consacre au dépôt de la couleur autour des formes et sur la toile entière, étalant une première couche de pigment puis ponçant la surface sèche avant d’étaler une deuxième couche, jusqu’à ce que le résultat la satisfasse, donne à la surface monochrome une présence paradoxale dans l’agitation visuelle de l’ensemble : elle est à la fois tout en lumière, donc dématérialisée en quelque sorte et, a contrario, fortement sensuelle et physique, d’un point de vue, pour ainsi dire, pelliculaire. Ce rectangle de lumière, c’est aussi la peau, la nôtre, dans la dimension spatiale que l’on partage avec la peinture. La forme/figure, plus en matière, n’est jamais pour autant protubérante, ne se présente Jamais devant la couleur même lorsqu’elle est arrimée par un lacis au bord inférieur du tableau ou bien quand ce dernier propose une bande de couleur horizontale différente qui pourrait s’apparenter à un sol. Le tout se donne à voir simultanément dans une motilité essentielle qui renverrait à l’expérience des images cinématographiques si ce n’était cette sensualité des surfaces en appelant à nos épidermes : imminence du décollage ou de la désintégration des formes, leur tournoiement implicite, leur écrasement concomitant dans la dimension iconographique, la lumière enfin.

(Texte publié avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Caen)

L’artiste
Isabelle Champion Métadier vit et travaille à Paris et New York.

Les auteurs
Ann Hindry est historienne de l’art et critique d’art.
Anne Tronche, après avoir été inspecteur général adjoint de la création artistque (délégation aux Arts plastiques, ministère de la Culture, 1981-1998), est critique d’art et commissaire d’exposition.
Jean Tapié est conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Caen.

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